Je sens le sommeil m'emporter. Je recroqueville mes mains vers ma poitrine. La température douce d'une fin de journée se frotte à ma peau. Je me sens en sécurité. Me voilà, cloitrée entre quatre murs, ceux de mes pensées. Ils sont grand, blancs ternes. Devant moi, se dresse un grand miroir. Je suis seule, face à moi même. Je me revois hier, dans l'allée du marché, ou encore à dix-sept ans dans un tout autre espace, que je n'arrive pas à identifier. Nous sommes maîtres de nos rêves à ce que j'ai lu dans un magazine scientifique. Alors, je me décide à faire quelques pas. Je parviens tant bien que mal à reconnaitre ce lieu, le notre, comme tu ne cessais de répéter. Il est si chère à mon cœur. C'est celui, de notre rencontre, la première, l'unique. Depuis, tu viens conquérir inlassablement mon esprit, de jour comme de nuit. Nous nous sommes aimés éperdument, le temps d'un été. Tu avais un teint halé et l'odeur du monoï qui, à l'époque en rendait jaloux plus d'un. Tu faisais tomber des cœurs, et bouleversais toutes les personnes que tu rencontrais. Tu étais à mes côtés, et ta voix grave apaisait mes nuits.
Quand je réouvre les yeux, ton visage souriant et ton regard attendrissant disparaissent. Le son de ta voix n'est plus qu'écho. Le gardien du jardin des Doms me fait de grands signes. Il est dix-neuf heure passé. Il vient pour faire les portes du parc. D'un pas lent, je prends la direction du palais. Je salue chaleureusement le gardien. Le palais surplombe toute la cité. Je l'admire. C'est un monument majestueux, une des plus grande forteresse du moyen-âge. Les restaurants de la place de l'horloge se remplissent peu à peu. Je tourne au premier. Je m'assoie non loin de la ruelle. Certains viennent entre amis fêter leur retrouvaille, d'autres s'octroient un moment de tendresse, de joie en famille. Il y a cette petite fille brune au regard azure qui me sourit. Tout en buvant ma limonade, je lui fais un sourire. Le serveur revient quelques minutes plus tard. Il pose un plat de pâtes au pesto devant moi, que j'engloutie aussitôt.
-Belle soirée hein ! Vous êtes toute seule ? Personne ne vous accompagne ?
C'est une voix rauque qui me parvient de la table adjacente. Un homme, d'à peine vingt-cinq ans me fixe d'un air interrogateur. Je tourne la cuillère dans le tiramisu que j'ai commandé. Je ne peux décrocher mon regard de mes gestes. Le cacao vole sur les bords de l'assiette blanche. Je relève la tête un instant, nos regards se croisent.
-Vous savez, l'amour à besoin d'imagination pour vivre et perdurer. Chacun s'invente et se réinvente pour l'autre. J'ai consacré ma vie, ou du moins la plus grande partie de ma vie à ma carrière et à autrui. Je me rends compte, jour après jour, que je me suis perdue. Quant à chaque homme que j'ai rencontré, ils étaient pour la plupart bavards, hypocrites et lâches face aux épreuves. Alors, ce soir, je suis seule. Seule assise à la terrasse de ce restaurant, dans lequel scintille mille et une lumières, et où des familles entières, des jeunes, comme vous réchauffe mon cœur. Je passe une partie de mon temps dans la rue, dans les cafés et les bars. J'aime entendre les tintements des verres entre eux, les éclats de rire autour d'une table comblée. Tout cela me rappelle mon enfance, ma jeunesse endormie.
Je baisse le regard et un sourire triste vient se mouvoir sur mon visage. Mes yeux divagants dans le vide. Lui, me regarde fixement. Sa bouche s'entrouvre, puis se ferme. Il ne sait quoi répondre, comment réagir. Je laisse quelques billets dans la coupelle en verre que le serveur m'a apporté. Je hisse mon sac sur mon épaule, m'extirpe de la chaise, puis la range sous la table. Mon voisin de table me regarde toujours, il me semble intrigué. Je lui fais un dernier sourire ainsi qu'un petit geste timide de la main, et tourne les talons dans les venelles désertes d'Avignon, en pleine soirée d'automne.
(suite de la partie 1 très prochainement...)