Pains au laits industriels à la confiture d'abricots et aspartame

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Il était une fois, dans une boite aux lettres sombre, un courrier sinistre qui attendait le retour d'une jeune femme pour être lu.

Elle s'appelait Salomé et travaillait dans l'ombre d'un avocat spécialiste du droit du travail dont la mégalomanie n'avait d'égal que sa calvitie et le mépris qu'il témoignait à son employée.

Ce matin-là, notre jeune assistante juridique appliquait consciencieusement de l'anticernes sous ses yeux bruns pour dissimuler une nuit agitée. Elle avait passé sept heures interminables à se tourner et se retourner sous sa couette pour rassembler les bons mots en vue de demander une revalorisation de son salaire après 4 ans de travail dévouée corps et âme à la réussite financière de son employeur. L'anticernes ne changerait certes rien à la décision finale de Maître Benarfa mais lui donnerait peut-être l'assurance qui lui manquait depuis trop longtemps pour oser demander, tout comme 150 € manquaient régulièrement sur son compte. « Excellente présentation, dynamique et souriante » se remémora-t-elle avec consternation. Son entourage lui répétait pourtant depuis des mois qu'apporter de l'hoummos maison d'après la recette de Tata Esther ne constituaient pas une demande d'augmentation en soi. Salomé préférait rêver que Maitre Benarfa arriverait un beau matin tout sourire, lui tendrait sa fiche de paie en lui annonçant :

— Salomé vous êtes une assistante exceptionnelle ! J'ai donc décidé de vous le montrer et de vous augmenter de 200 € nets chaque mois. Ne me remerciez surtout pas : vous le méritez, vous ne le devez qu'à vous-même. C'est un bonheur chaque jour de retrouver une collaboratrice telle que vous !

Pendant 4 ans Salomé avait tellement donné à son travail et avait passé tant de nuits à imaginer ce moment qu'elle en avait perdu le goût pour tout autre chose. Elle portait les mêmes vêtements et n'en avait jamais plus racheté « ceux-ci me conviennent très bien » répondait-elle à ses amies férues de shopping. Salomé ne prenait donc pas le temps de choisir une jolie tenue pour aller dîner ou boire un verre avec un homme de son âge puisque ce genre d'occasion n'arrivait plus. Elle était pourtant loin d'être laide, mais à force de ne plus s'accorder un regard ou une attention, les autres l'imitaient. Les hommes, son patron, le reste de sa famille. Salomé devenait terne et transparente au fur et à mesure des années.

Elle sortait peu car elle avait pris la très mauvaise habitude de ramener du travail à la maison, ce qui lui défendait ainsi toute activité ludique, sportive ou de détente, même un coup de fil avec une amie pour papoter se faisait rare.

Sa tante Esther, qui prenait de ses nouvelles tous les vendredis le déplorait à chaque appel :

— Tu étais si passionnée quand tu cuisinais ! Tu avais une telle envie, une telle bonne humeur. Tes plats comprenaient les gens.

— Tata tu ne comprends pas. C'est un truc d'hommes la cuisine, je n'avais pas ma place. Dans mon métier actuel je suis tout autant méprisée mais j'ai des horaires stables et je n'ai pas la pression du coup de feu toutes les 5 heures. Tu remarqueras aussi que je peux venir passer quelques jours avec toi et t'aider au salon de thé durant un week-end... Quand je travaillais en cuisine, les week-ends étaient devenus de la science-fiction. Et je ne te parle même pas de la difficulté pour rencontrer quelqu'un.

Esther ne répondait rien d'autre qu'un « oui, oui, tu as raison » et n'en rajoutait pas plus. Il était inutile de faire remarquer à sa nièce qu'elle n'avait pas plus de respect de la part de son supérieur et encore moins de gentil fiancé avec qui profiter de son temps libre.

— Comment vas-tu Tata ? Est-ce que ton traitement fonctionne mieux ? Tu as revu le médecin ?

— Oui, oui, répondait Esther de façon très évasive avant de changer de sujet. Tu sais, je crois bien que j'ai amélioré la recette de ma salade d'aubergines grillées ?

Mille-feuille au chocolat, sauce épices et nekketsuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant