Kanada iu laszo

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Une semaine plus tard.

Ma sœur et ma mère viennent me voir tous les jours, ma mère le matin, et ma sœur l'après-midi. Je suis avec ma mère, elle vient juste d'arriver. Elle me dit :

"-Coucou mon fils, comment tu te sens aujourd'hui ?

Elle dit maintenant ça tous les jours, comme une sorte de rituel réconfortant.

-Je vais bien, merci. Et toi, comment tu vas ?

-C'est juste que je me tue à répéter à ta sœur que je m'occupe de tout, par rapport à ton accident, et qu'elle ne veut pas m'écouter.

-C'est normal qu'elle veuille aider, je lui dis, amusé. Laisse-lui un peu de champ libre, elle est grande maintenant... Dis moi, les SDF sont-ils interdis dans cet hôpital ou pas ?

-Je pense que oui, comme dans tous les hôpitaux. Pourquoi ?

-Pour rien, dis-je, fixant un mur, penseur.

Cela fait maintenant une semaine que le même homme vient s'asseoir à la même place, à la même heure, tous les après-midi. C'est l'homme aux cheveux de neige, celui aux habits raccommodés. Peut-être que je me fais des idées, peut-être qu'il a sa femme ou quelque chose dans le genre dans la chambre d'à côté et que c'est moi qui le regarde à chaque fois.

J'ai aussi remarqué que cet homme étrange est assis à la même place à 17h17 précises. Il est midi, il me reste encore un peu de marge. Aujourd'hui, j'ai décidé d'appeler cet homme à venir me joindre, pour avoir des explications un peu plus claires, au risque de me ridiculiser si je fais une erreur. Je n'aurais qu'à m'excuser en lui expliquant que j'avais l'impression qu'on m'observait.

Mais pour l'instant, je dois suivre des cours de psychologie qui me permettront de "m'acclimater" plus facilement à ma paralysie sommaire.
L'infirmière est une d'une compagnie chaleureuse, tout l'inverse de celle du médecin venant prendre ma tension chaque jour. Mr Morel, je crois... Je n'aime pas ce type. Quand il vient prendre ma tension, il ne me jette presque pas un regard, à part pour me demander d'une voix lasse et monotone : "Vous avez bien dormi ?" sans vraiment écouter ma réponse.
Drôle de façon de traiter un patient...

Madame Faze, l'infirmière, ouvre la porte sans prévenir, me tirant de mes pensées.

"-Avez vous moins mal qu'hier? Me demande-t-elle, souriante.

-Oui, un tout petit peu, je lui répond. Mais je ne pense pas pouvoir me passer de morphine, aujourd'hui.

-À une dose raisonnable, bien entendu, me dit-elle, me regardant avec compassion. Ce n'est qu'un antidouleur, je vous le rappelle.

Sa remarque me fait rire, ce qui provoque une douleur au niveau de mon coeur.

-Pourquoi êtes-vous venue ? Pour ma dose quotidienne d'antidouleurs ?
-Et aussi pour vous annoncer que ce soir, votre soeur vous ramène chez vous.

Je marque un instant d'arrêt, incapable de dire un mot de plus. J'en suis ébahi.

-Vous rentrez enfin à la maison, monsieur Nara.

-M-ma soeur vient me chercher à quelle heure ?

-Vers 17h20. Profitez bien de votre dernière journée ici... "
Puis elle part de la chambre, en m'adressant un clin d'oeuil.

3h plus tard, 17h14

Il me reste trois bonnes minutes avant que ma soeur n'arrive, je décide donc de passer à l'acte sans plus tarder. Je dis donc d'une voix forte, pour bien que cet homme étrange m'entende : "Eh, vous, celui avec les cheveux blancs !

Il tourne la tête dans ma direction, mais il n'a pas l'air étonné le moins du monde.

"Oui, vous ! Pouvez-vous venir ici, s'il vous plaît ? J'aurais une question à vous poser. "

L'homme à la chevelure de neige étincelante s'approche donc vers moi, puis il me demande :

"-Oui, que voulez-vous ?

-Alors voilà, je lui répond, cherchant les bons mots pour en cas d'échec, ne pas le contrarier. Je me demandais...

-Si ma femme ou quelqu'un dans ce genre là serait hospitalisé dans la chambre juste à côté de la vôtre ?

-C'est...exactement ça, je lui répond, intrigué. 

-Pourquoi cette question ?

Il n'a pas du tout l'air contrarié, ni interrogé, et je n'arrive pas à déchiffrer l'expression peinte sur son visage. Cet homme m'interroge de plus en plus. 

-Eh bien, à vrai dire, c'est drôle, mais...

-Vous avez l'impression que je vous observe.

-Euh, oui...

-Et vous avez aussi noté l'heure exacte où j'arrivais dans ce siège précis, à 17h17 donc.

-Eh bien...

-A mon tour de vous poser un question.

-Faites donc ?

-Quelle est la raison de votre arrivée dans cet hôpital ?

-J'ai eu un accident de voiture grave, et les médecins disent que je serais sans aucun doute paralysé à vie. C'est horrible. Je n'arrive plus à bouger, et ça me plombe.

-Vous pensez, ne plus arriver à bouger.

-Je vous demande pardon ?!

-Mais avez-vous seulement essayé ?

Bêtement, presque instinctivement, j'essaie de bouger mon pied droit, mais je n'y arrive pas. Il fallait s'y attendre.

-Vous venez d'essayer, n'est-ce pas ? Maintenant essayez de bouger votre main.

Mais, sans que je puisse faire quoi que ce soit, ma main fait le poing, puis revient presque aussitôt à la normale, dans sa position initiale.

-Je n'arrive pas à y croire.

-Mais pourtant c'est vrai. Je vais devoir vous laisser, on se revoie très bientôt.

-Qui êtes-vous ?

-Oh, moi ? Juste un gardien.

Je n'y comprends rien du tout.

-Un gardien ?

-Oh, et une dernière chose. Très important.

-Oui ?

-Kanada iu laszo.

-Qu'est-ce que ça veut dire ?

-Kanada est espoir. Bonne soirée, monsieur Neka.

-Nara.

-Pardon, ma langue a fourché.

Puis il part en me faisant un clin d'oeil, d'un air rêveur et malicieux.

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⏰ Dernière mise à jour : Jun 07, 2020 ⏰

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Kanada NekaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant