Au-delà du Grand Blanc

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Quinze ans. Quinze ans, qu'elle attendait ça. Elle allait enfin voir le ciel. Elle l'avait admiré en photo. Contemplé dans des films. Mais rien ne serait jamais comparable à la réalité. Entourée de tout ce blanc, la jeune fille avait l'impression d'être emprisonnée. Elle avait la ferme intention de mettre un soupçon de couleur dans sa vie.

Elle monta sur son flyboard et s'envola haut dans le ciel. Loin de la terre ferme. Loin du blanc immaculé. Loin, vers l'inconnu. Elle avait beau se rapprocher des étoiles, il était toujours là, ce blanc monstrueux. Mais elle gardait espoir. Elle continuerait son ascension. Peu importe le temps que cela prendrait. Une minute. Une heure. Un jour. Une semaine... Peut-être pas une semaine. Elle ne pourrait jamais vivre aussi longtemps sans déguster les succulents plats de sa grand-mère.

Alors qu'elle pensait qu'il lui faudrait rejoindre les astres pour se séparer de cette masse informe et blanche, elle atteignit enfin son but.

Le Soleil brûlait sa peau. Son corps semblait se consumer. Ses yeux habitués à des teintes pâles et ternes, s'embuèrent de larmes sous l'effet de ce surplus de lumière, comme si après des années à regarder des films en noir et blanc, on était passé à la couleur en un infime instant.

La jeune fille retira sa veste et ferma les yeux. Bientôt, la chaleur du Soleil se fit réconfortante et ses yeux commencèrent à s'habituer à ce nouvel environnement.

Le spectacle qui s'offrait à elle était magnifique. Du bleu. Du bleu partout. Pas de blanc. Juste un bleu d'une majesté sans pareille. Pour la première fois de sa courte vie, elle pouvait voir à plus de trois mètres d'elle en plein air. Loin de la terre ferme, tout paraissait plus beau. Elle pleurait à nouveau. Mais cette fois la morsure du Soleil n'en était pas la cause.

Tout là-haut dans le ciel, elle se sentait toute puissante. Elle surplombait les Hommes piégés dans le Grand Blanc.

— Je suis la maîtresse du monde.

— Ta gueule !

La jeune fille se retourna. Devant elle, à plusieurs mètres, un vieil homme portant un masque à gaz bleu ciel, était assis en tailleur sur un flyboard.

— C'est pas très sympa, fossile.

— Que dis-tu jeune fille ? Tes parents ne t'ont pas appris le respect ?

— Les vôtres ne l'ont pas fait en tout cas. Sinon vous auriez utilisé une formule moins violente pour vous adresser à moi.

— J'essaie de me remémorer mon passé. Pour ça j'ai besoin du plus grand calme.

— Ça ne m'étonne pas que vous essayiez de vous souvenir de votre passé puisque que vous n'avez plus vraiment d'avenir.

Le vieil homme sourit.

— Je t'aime bien petite. Tu ne manques pas de répartie. C'est quoi ton petit nom ?

— Robyne.

— Joli nom. Je m'appelle Philibert.

— C'est moins joli.

— Philibert éclata de rire.

— Que fais-tu dans le ciel, Robyne ?

— J'ai toujours préféré la couleur au blanc. Alors, dès que j'ai eu mon flyboard, je suis venue voir à quoi ressemblait le monde au-dessus du brouillard. Et vous ?

— Je viens pour sentir la chaleur du Soleil sur mes vieux os.

Robyne se rapprocha de Philibert.

— Je viens pour me souvenir de la splendeur de Paris, continua Philibert. Autrefois, les gens venaient du monde entier pour admirer la Tour Eiffel. La Dame de Fer régnait sur le ciel parisien. Maintenant elle n'est plus qu'une vieille femme décrépie. L'Arc de Triomphe n'en a que le nom. Il n'est plus tout à fait un arc et ne symbolise plus le triomphe de la France, mais plutôt ses plus lourdes défaites. Notre-Dame de Paris est, certes, à moitié immergée sous les eaux de la Seine, mais c'est toujours mieux que le Château de Versailles, presque intégralement détruit lors de la guerre Franco-Russe.

Robyne Sans BoisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant