Amour Cupide [ Bungo Stray Dogs / Soukoku ]

Partie I

L'énième soupir de Dazai pourfendit le silence religieux qui régnait dans le bureau des Cupidons, agaçant une nouvelle fois tous ses collègues. Quelques feuilles en main, il lut distraitement les lignes injectées d'encre, davantage concentré sur ses pensées.

Cupidon... Voilà bien l'un des derniers métiers qu'il pensait exercer dans sa misérable vie de suicidaire, surtout au vu du contexte. Peut-être parce de son vivant il ignorait qu'une chose pareille subsistait dans cette hypothétique longévité parallèle ; ou bien en raison de son suicide indolore qui avait enfin abouti après un nombre incalculable de tentatives, alors qu'il s'attendait à un simple repos éternel ?

Il n'en avait aucune foutue idée.

L'ex-détective avait quitté le monde des vivants, ça il le savait. Son badge de Cupidon était assez explicite pour lui certifier ce fait quotidiennement.

Osamu Dazai
Décédé le 13 juin 2013
Profession actuelle exercée : Cupidon

À croire que les Hauts Placés trouvaient sympathique de mentionner une information telle que celle-ci sur leur petit bout de plastique à tous. Enfin si. Ce communiqué avait eu pour simple but, aux yeux de Dazai, de se rendre compte de la durée de cette peine qui lui paraissait d'une grande torture en regardant les insignes de ses associés. Même ses journées « mornes » à l'Agence lui manquaient, au moins la présence de Kunikida et Atsushi avait une fonction distrayante, contrairement à ses camarades les archers des cœurs qui ne savaient pas assimiler le concept du mot « amusement ».

Même son envie de chantonner sa fameuse mélodie sur le suicide amoureux l'avait quittée. De toute manière il était déjà mort, donc à quoi bon ? Cette constatation le fit soupirer, encore...

Le brun haïssait son nouveau job. Devoir s'occuper des problèmes de cœur des autres, alors qu'il peinait à sauvegarder son ancienne vie sentimentale, revenait à lui confier une mission antagonique à ses capacités. Ses talents de Robin des Bois étaient le seul mérite qu'il pouvait tirer de cette histoire extrêmement saugrenue.

Après tout il l'avait cherché... Arrivèrent les deux problèmes élémentaires qui se faisaient récurrents : la raison de son affiliation à cette branche des petits sagittaires ailés ; et Chûya. Surtout Chûya. L'écho seul de son prénom dans son esprit le fit se sentir damné de toute joie potentielle. Le fossé creusé par son annihilation n'était qu'insignifiant à côté de ce que lui avait fait comprendre le rouquin lors de leur toute dernière discussion avant sa nuit éternelle.

Ce songe entraîna un amas de sentiments négatifs qui vinrent enserrer sa gorge d'une désagréable boule qu'il exila rapidement, feintant sa concentration perdue pour ses dossiers. Ce fut -une nouvelle fois- de très courte durée, et formula sans peine ses plaintes internes quant à son métier qu'il aimait qualifier de « jobard ». Rien n'était plus pesant que d'être l'auteur de mise en couple idyllique, alors que cela lui était lui-même refusé.

Cependant, le choix des Hauts Placés relatif à sa faction n'avait rien d'anodin. Ils avaient étudié avec attention « le cas Dazai », et la sentence fut tombée sans la moindre possibilité de négociation pour le taquin. Leur décision s'appuyait sur des points clairs comme du cristal : les nombreux meurtres qu'il avait commis, ainsi que son suicide, étaient des parties qui lui auraient valu un aller direct pour les enfers. Seulement, il pouvait échapper à l'étreinte des ténèbres infernales uniquement car cette sanction paraissait trop douce à leurs yeux. En d'autres termes, quoi de mieux qu'attribuer un travail lui faisant endurer sa plus grosse bête noire, à savoir l'amour ?

Les anges étaient habituellement libres de leur choix. Quelques-uns demeuraient des exceptions : entre ceux qui choisissaient de continuer à vouloir apporter quelque chose au monde des vivants, et ceux qui, comme Dazai, étaient dans une instance purgative.