- Tu n'as pas choisi, bien entendu. Ça fait dix minutes que tu regardes le menu et tu ne sais toujours pas ce que tu vas commander. C'est ça ?
Aïe. La soirée commençait bien. Il avait l'air calme, mais je sens qu'il s'est mis en marche. Je vais essayer de désamorcer.
- Si ! Attends, j'y suis presque. J'hésite entre les pâtes et le canard. Tout à l'air si délicieux. C'est un très bon choix ce restaurant. Bravo, mon chéri !
Elle me prends pour une buse ? J'allais lui laisser le bénéfice du doute, mais là, c'est sûr, elle se moque de moi.
- Tu n'as pas choisi parce que ça fait dix minutes que tu fixes l'homme qui se trouve à une table derrière moi.
- Antoine, s'il te plaît, pas ce soir. S'il te plaît.
- C'est plutôt à toi qu'il faut dire ça !
Ça y est. Il est parti dans son délire. Pour rien et en dix minutes à peine. Record battu. Ras-le-bol.
- Antoine, nous habitons à Paris. Nous sommes entourés de milliers de personnes. Nous avons toujours des gens autour de nous et nous avons toujours ce type de conversation. Tout le temps ! Je ne sais plus comment argumenter. Tu as broyé toutes mes tentatives. Tu as broyé tout mes mots. Alors, là, tu vois, je regarde le menu. Je n'y vois aucune photo; je ne regarde donc personne. Je ne lèverai plus le regard que vers toi. Cela te convient-il ?
Moi qui pensais qu'elle avait changé, qu'on pourrait repartir à zéro. Tu parles ! Elle aime les aguicher tous, elle a ça dans le sang. Elle peut pas s'en empêcher. C'est plus fort qu'elle.
- Si tu m'aimais vraiment, tu ne voudrais pas me faire du mal. Tu arrêterais de les regarder. Mais ça t'excite et ça te plaît de me rendre dingue. Regarde-moi, Marie !
- Ne le regarde pas ! Regarde-moi ! Ça te va comme ça ? Tu veux pas que je sourie en plus ?
C'est fichu. On ne va récupérer ni la soirée ni notre couple. Je n'en peux plus. Il faut que ça s'arrête. Sinon, c'est moi qui vais devenir aussi dingue que lui.
- Écoute, Antoine, ce scénario connaît pour le moment deux issues : on fait un scandale ou on s'éclipse discrètement. J'envisage ce soir une troisième solution. Je me lève et je m'en vais seule.
Bien sûr ! Seule ! Elle a bien préparé son coup cette fois. Elle a déjà prévu de rejoindre son amant, cette traînée. Je ne sais pas ce qui me retient de la cogner. Elle fait tout pour me mettre en rogne.
- Ah oui ? Tu veux partir seule ? Je vois une quatrième solution, moi. Je me lève aussi et je te plante le couteau dans la gorge. Et j'en finis avec toi, ici, une bonne fois pour toutes. Pauvre minable.
- Ah non. Ça, c'est la première solution, le scandale. Trouve autre chose. Et aussi un couteau à viande parce qu'avec celui-ci, tu vas pas planter grand chose.
Putain, je vais la buter !
- C'est ce que tu veux ? Que je t'égorge ?
Il est enragé, l'abruti. Il me ferait presque pitié... Mai non, c'est décidé. C'est le moment, il faut en finir.
- Non, si tu dois tuer quelqu'un, je préfère que ça soit toi-même ! Voilà, c'est lâché.
Ces bonnes paroles m'ont donné un nouveau souffle et j'inaugure donc la troisième voie. Adieu, Antoine. Finis le repas avec le charmant Monsieur derrière toi. Il n'arrête pas de te regarder. Je crois que tu lui plais.
*
J'ai bien fait de dîner dehors finalement. Je ne regrette pas le croque-monsieur Picard devant un téléfilm. Ces deux-là valent bien mieux. Ils avait l'air pourtant d'aller bien ensemble. Souriants, détendus, bien mis. Surtout elle. Un bien beau bout de femme, ma foi ! Mais à la façon dont l'homme s'est retourné plusieurs fois vers moi en me jetant des regards nerveux, je me suis rapidement rendu compte que quelque chose clochait. J'aurais du m'asseoir plus près d'eux.
J'aurais tout entendu. Là, je ne peux que deviner leur dispute à leur mine qui devient de plus en plus grave. Pourquoi se tourne-t-il vers moi ? Je brûle d'aller le lui demander. Si j'osais... Mais il n'a pas l'air commode.
Ah tiens, elle se lève. Ma parole, elle prend son sac. Elle s'en va ! Mince. Sans même faire un esclandre ; ça aurait mis un peu de piquant. Le reste de la soirée va être terne... À moins que...
- Garçon, l'addition, s'il te plaît !
Et l'homme se leva prestement et partit à la suite de Marie.