Nuit torride

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Je me réveille dans un petit sursaut de panique.

Où suis-je ?

Mon cerveau embrumé n'arrive pas à se souvenir. Mes yeux focalisent vainement dans la pénombre. La pâle lueur d'un radio-réveil renvoie les contours d'une table de chevet inconnue.

Un léger soupir et un souffle chaud caressent ma nuque. Je sens alors sur mon corps entièrement nu, le poids d'un bras qui me serre tendrement contre la douce chaleur d'une peau satinée.

Ma mémoire recolle en un éclair tous les morceaux de ma soirée. Je tressaille. Une violente envie de pleurer s'empare de moi. Je m'extirpe en douceur de la délicate étreinte. L'homme dort profondément. Je ne le réveille pas. Je reste quelques instants à l'observer dans le noir. Je distingue non sans mal son corps subtilement musclé. Je me souviens du tracé discret de ses abdominaux, de son torse quasiment imberbe. Sur son visage aux traits fins, j'admire le contour de ses lèvres, l'arête de sa mâchoire. Je ne me rappelle que trop bien le magnétisme de son regard.

Je me lève. J'ai besoin de marcher. Sur le sol, parmi l'amoncèlement de vêtements jetés au hasard je trouve sa chemise. C'est puéril, mais je la sens avec délice. Elle porte encore la douce fragrance de l'homme. Pour prolonger ce moment, encore un peu, j'enfile le fragile tissu de soie. La caresse de l'habit probablement hors de prix m'arrache un délicat frisson d'extase. Je referme les boutons. Elle me couvre parfaitement.

Mes yeux se sont enfin adaptés au noir. Je trouve sans mal la porte et me faufile jusque dans le salon. Nous sommes dans le plus haut appartement de la ville. À travers les baies vitrées qui font tout le tour du propriétaire, je peux voir les lumières de la ville qui vacillent.

Tel un papillon attiré par elles, j'approche d'une des baies. Je me pose contre la froide poutrelle métallique qui retient la vitre. J'ai le vertige. C'est haut. Mais c'est tellement beau.

Une douloureuse étreinte enserre mon cœur. Il n'y a pas que le vertige. J'ai cédé. Je suis en colère : contre lui, contre sa beauté envoutante, mais surtout contre moi-même. Je connais l'homme. Je sais ce qu'il est, ce qu'il fait de ses soirées. Je sais qu'on ne compte plus le nombre de femmes qui sont passées dans son lit. Mais non, éblouie par une fausse promesse d'un conte de fée, j'ai dit oui.

Je resserre l'étreinte de la chemise autour de moi. Je soupire. Et maintenant ? Je suis là, à regarder la nuit passer, à attendre qu'il me jette en espérant encore qu'il se ravisera aux derniers moments. Parce que oui, malgré tout ce que je sais de lui, malgré mon QI un peu plus haut que la moyenne et un sens aigu de la réalité, j'espère encore avoir réussi là où toutes les autres ont échoué. Je ne suis qu'une imbécile.

Cette soirée a été si belle. Il semblait m'attendre dans la salle de repos de l'immeuble. La société de son père qui est maintenant la sienne possède l'intégralité du bâtiment : des parkings les plus en sous-sols jusqu'à ce duplex magnifique à la cime. J'ai fini tard, comme souvent en ce moment. Nous mettons en place de nouvelles procédures. Il n'est pas rare que pour soulager ma collègue, jeune mère de deux enfants en bas âges, je fasse nocturne. Je n'aime pas savoir que ses enfants grandissent sans elle. Il m'avait suivi quand j'étais sortie, charmeur, et au lieu d'appeler l'ascenseur pour descendre à ma voiture, il avait feint de le monter dans ses appartements privés.

Je me demande bien combien de fois, il avait joué cette mauvaise farce. Un gout amer se répand dans ma bouche.

On aurait dit qu'il avait tout prévu, qu'il savait que je cèderais. Ou alors avait-il des plans B, C et j'en passe.

Un délicieux repas nous attendait. Contrairement à ce que j'aurai cru, il ne s'était pas juste jeté sur moi. Nous avons agréablement diné en discutant un peu de tout et de rien. Il s'était ensuite rafraichi. Peu habituée à ce genre de relation d'un soir, je n'avais même pas songé à le retrouver sous la douche. J'étais resté à contempler la ville et les lumières qui dansaient, comme je le fais maintenant. Quand il avait fini, il m'avait proposé la place. J'avais pris peur. Je m'étais rendu compte que j'avais poussé une porte que je n'étais pas prête à assumer. Pourtant j'avais pris ma douche. Il ne m'avait pas rejointe, me permettant de me prélasser sous l'eau chaude. J'avais apprécié le moment. Cependant, il m'attendait un livre à la main, sur immense lit. Il avait souri devant ma gêne et m'avait suivi quand rouge de honte entre son corps d'apollon et moi, je m'étais réfugié dans la salle de bain. Avec beaucoup d'attentions, comme de tamiser la lumière, de tendresses, il avait fait tomber toutes mes barrières. Nous avions fait l'amour une première fois sur le marbre du lavabo. Non satisfaits par cette mise en bouche, déjà une première pour moi qui n'avait jamais autant été submergée par le plaisir, nous avions remis ça plusieurs fois dans ce grand lit. Je ne sais plus vraiment combien de fois, je me suis écroulée de fatigue. C'est ainsi que je venais de me réveiller.

Une boule se forme au creux de mon ventre. Je ne pourrais plus me regarder dans un miroir. Un frisson me parcourt quand je me rends compte que je devrais regarder les autres passer. Mon esprit analytique m'arrête alors. On n'a jamais vu une seule de ses conquêtes dans cet immeuble. Il est de notoriété commune qu'il passe de longs moments dans les grands clubs ou grands hôtels de la capitale. Après, je ne suis pas là tous les soirs à surveiller les allers et venues de notre patron. Je stoppe toutes les horreurs qui surgissent dans ma tête.

Coucher avec son patron : c'est vraiment une erreur de débutante. Le désespoir se répand douloureusement en moi et des larmes de rage naissent dans mes yeux.

Un délicat baiser dans mon cou me ramène à la réalité.

— Des soucis pour dormir ? me demande la sensuelle voix de mon amant du soir.

— Je ne dors jamais bien quand je ne suis pas chez moi, avouè-je contenant toutes les émotions qui voudraient se transmettre dans ma voix.

Je voudrais lui hurler dessus, le frapper de toutes mes forces, le traiter de tous les noms. Mais je n'y arrive pas. Je suis seule fautive. Je n'avais qu'à lui dire non. Ce n'était pourtant pas si compliqué.

— C'est joli n'est-ce pas, me fait-il remarquer en désignant la vue ?

— Oui. C'est magnifique.

— C'est grisant d'avoir la ville à ses pieds. Être la reine du monde.

— Non, ça, ce n'est pas mon truc. J'apprécie juste la hauteur, les lumières, la vue dégagée sur l'horizon. Le lever de soleil doit être sublime.

— Tu verras demain matin.

Il dépose un nouveau baiser dans mon cou. C'est horrible, car j'aime tellement cette façon de m'embrasser. Un léger soupir s'échappe bien malgré moi. Mon corps est déjà en feu.

— J'ai envie de toi, susurre-t-il. Je veux t'entendre gémir devant la ville.

— Pour que tout le monde puisse se rincer l'œil, observé-je dans un frisson de dégout.

— Il y a très peu de chance, dit-il en riant, la ville dort. Les vitres sont fumées. Nous sommes dans le noir.

Il m'embrasse à nouveau. Ses doigts caressent ma jambe, s'immiscent sous la chemise. Mue par une volonté propre, ma jambe s'écarte et lui offre les pleins pouvoirs sur mon jardin privé.

— Pourquoi te sens-tu obligé de me mettre au supplice ainsi, lui demandè-je alors que mes mains agrippent chacune un renfort de la vitre  ?

— Il n'y a rien de plus excitant que le corps d'une femme qui t'attend impatiemment, m'explique-t-il m'effleurant jusqu'à ce qu'il estime que le moment était venu.

Une fois, en moi, il reprend de son sensuel murmure dans le creux de mon oreille :

— De plus enivrant que ce corps qui se resserre de désir autour de toi.

Ses mouvements lascifs, combinés à des caresses expertes m'emmènent doucement, mais surement dans les méandres du plaisir. Il contrôle parfaitement la tension qu'il m'impose, c'est hallucinant.

— De plus exaltant que d'être appelé à le combler, finit-il lorsque la jouissance me fauche.

Mon corps effectivement le supplie de fusionner au plus profond de lui. Il me rejoint dans un gémissement cruellement excitant, mordillant délicatement le creux à l'arrière de mon oreille. Le temps de reprendre notre souffle, je regarde à nouveau les lumières de la ville. Mes doigts dont les jointures sont devenues blanches sous la pression se désincrustent lentement du métal. Rien ne bouge en bas.

Il va falloir que je m'y fasse. Je suis une poupée sans volonté entre ses bras.

— Tu viens dormir, demande-t-il enfin. Mon lit est atrocement grand et froid sans toi.

J'acquiesce plus que je ne réponds. Je ne veux pas que le soleil se lève. Je ne veux pas que cette nuit finisse. Il se retire avec douceur, ouvrant un immense vide en moi. Ça y est, la nuit va se terminer sur mon conte de fées. Je ne serai bientôt plus qu'un nom supplémentaire sur son tableau de chasse.

Nous nous couchons amoureusement entrelacés. Il m'étreint aussi tendrement que tout à l'heure. Le sommeil me gagne, je suis bien là au chaud, contre son corps, dans sa chemise. Tandis que je m'endors, je prends la décision de partir avant son réveil. Je n'aurai aucun mal à me libérer une nouvelle fois de son étreinte. Je veux garder au moins ce dernier lambeau de fierté avec moi.

TO BE CONTINUED

La tour de verreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant