La forêt

Frayeur

Elle se hâta de reprendre le même chemin, et si elle n'avait pas le sens de l'orientation en ville, elle avait une très bonne mémoire visuelle dans la nature !

Les différentes nuances de verts reflétées par la lumière du jour avaient laissé place à des ombres inquiétantes, prenant des formes et des proportions démesurées. Sasha qui n'avait jamais eu peur en forêt jusque-là, était de plus en plus effrayée. Tout prenait une toute autre dimension. Elle faillit tomber à deux reprises par manque de visibilité, et se rattrapa à des branches entre les pierres. Elle tâtonnait dans l'obscurité en tachant de bien reprendre le même chemin. Mais elle ressentait comme un malaise, une angoisse qui montait dans sa gorge et l'oppressait.

Elle avait maintenant traversé la partie rocheuse, et s'apprêtait à parcourir les espaces touffus et denses qu'elle avait rencontrés à l'aller. Elle se mit à marcher plus vite, les pierres se faisant plus rares, elle avait moins d'obstacles à éviter. Cependant les végétaux semblaient s'unir contre elle pour l'empêcher de fuir. Elle prenait soin d'éviter les branches qui se dressaient sur son passage, mais une ronce vint lui attraper le pied gauche. Au pas suivant, Sasha s'effondra de tout son long dans un bruit sourd, se retrouvant la tête dans la mousse, les bouts de bois et les feuilles. Sa chute avait été amortie, mais une forte odeur d'humus en décomposition l'assaillit. Sa gorge se serra, et elle rejeta un haut le cœur. En tentant de dégager son pied de cette maudite ronce, ses doigts s'enfoncèrent dans une matière gluante et encore chaude entourée de plumes. Un cadavre d'oiseau sans doute ! 

Elle poussa un cri d'effroi... Du moins il lui sembla avoir crié, mais elle n'entendit aucun son sortir de sa bouche. La forêt avait étouffé son cri. Elle se rendit compte que si elle voulait appeler à l'aide - ce qui n'était absolument pas le cas car elle était très courageuse, se dit-elle pour se rassurer- elle ne pourrait alerter personne, car La Forêt l'en empêcherait ...

Cette idée la paralysa d'angoisse.

Et quand bien même on eut pu l'entendre ... ? Qui l'aurait entendue ? En pleine nuit ?

Reprenant ses esprits, elle souffla un grand coup, et tira sur la ronce qui emprisonnait sa cheville et l'avait faite tomber. Celle-ci céda mais les épines lui griffèrent la main. Au même moment, elle fut violemment projetée par une force invisible et se cogna la tête contre un tronc d'arbre. Sonnée, pétrifiée, elle se releva tant bien que mal, mais ne savait plus par où s'échapper. Car il ne s'agissait plus seulement de retrouver sa route et rentrer chez elle, mais bel et bien de s'échapper de ce maudit endroit !

Dans le noir complet, le plafond d'arbre masquant la pleine lune, elle sentit qu'elle allait céder au désespoir. Sa tête lui faisait mal, et en se passant la main où l'arbre l'avait cogné, elle sentit un liquide visqueux : du sang.

Soudain dans ce silence écrasant, un bruit se fit entendre derrière elle.

Elle était tétanisée. Elle ne respirait plus.

Une ombre surgit des fourrés, et se faufila vers elle. C'était le grand chat noir !!

Aussitôt, sans savoir pourquoi elle ressentit un immense bien-être.

Il vint près d'elle, et commença à avancer. Il se retourna pour s'assurer qu'elle le suivait. Un peu hébétée, mais soulagée, elle se mit à le suivre. Il lui montrait le chemin. Les arbres serrés, emmêlés et oppressants, qui lui paraissaient former une barrière naturelle, s'ouvraient maintenant sur son passage. Sasha était complètement abasourdie, mais ne se laissait pas décontenancer par ses pensées, car son objectif premier était de ne surtout pas perdre de vue ce mystérieux chat qui était en ce moment même son meilleur ami !

Et en quelques minutes à peine, il la conduisit à son point de départ. C'est à n'y rien comprendre, pensa Sasha ! Elle était juste à côté, mais elle n'y serait jamais parvenue toute seule ! Comme si la forêt l'empêchait de sortir, comme si ce chat avait ouvert une porte sur l'extérieur.

D'ailleurs, dès qu'elle eut retrouvé son chemin, le chat disparut.