« Alors vous voulez vous en aller » disent les jumeaux, enfin revenus.
Ils ont l'air un peu déçus, mais cette déception probable ne les a pas empêchés de s'empresser de se servir de la viande. Tu as presque envie de t'excuser malgré tout.
« C'est prévu depuis longtemps, on a des choses à faire, et si on ne les fait pas, on ne sera pas en paix » expliques-tu.
Les jumeaux croisent les jambes, pensifs. La vieille dame elle aussi est plongée dans le silence.
« Alors vous voulez nous quitter, reprend-elle. Et vous voulez quitter la forêt de Herne.
-C'est bien cela. On a tellement erré. Ça fait du bien d'avoir une destination. »
La vieille dame se lève avec difficulté pour aller chercher sa bouilloire. Elle se tait pendant quelques instants. A contre-jour devant l'âtre, tu ne distingues pas son visage.
« Vous deux, vous allez me manquer.
-Je ne peux pas rester, dis-tu.
-M'enverrez-vous une lettre ? Je veux savoir ce que vous devenez, dans le vaste monde. »
Tu hoches la tête. Même si tu n'as pas écrit depuis longtemps, ça te reviendra.
« Peut-être même qu'on reviendra un jour » ajoute Vikas.
Peut-être.
*
La journée du lendemain est un peu étrange. Vikas doit laisser ses habits de soldat dans la forêt. Pour la première fois, depuis un certain temps, et à ta courte honte, vous faites l'effort de vous laver. Probablement semblez-vous presque honnêtes désormais. Tu te peignes comme tu peux, lisse ta robe. Tu ne veux pas avoir l'air suspect. Mais la baïonnette de Vikas l'est néanmoins. Vous devez la laisser à la vieille dame. Tu dis à Vikas qu'il n'a qu'à prendre ton fusil.
Et puis, a priori, vous n'avez pas besoin de choses comme ça, là où vous allez.
Tous les deux, vous avez tellement changé.
La ville est à une petite demi-journée de marche. Les jumeaux disent que c'est grâce à leur raccourci spécial. Là-bas, ils vont présenteront à un ami à eux. Il s'appelle « Le Renard » et fait fréquemment des allers-retours entre la forêt et la ville.
« On l'appelle comme ça parce qu'il est tout roux et un peu méchant. Mais il nous respecte parce qu'on est malins comme lui.
-Lui, il aime bien la ville, encore plus que nous je veux dire, et c'est pas très courant. Il y est presque plus que dans la forêt désormais. Ça lui plaît parce qu'il y a plein de trucs à ramasser. Il dit qu'on est bêtes de rester ici. Après, tout le monde n'est pas aussi malin que lui. Se laver, s'habiller, travailler, dire bonjour, merci, au revoir ? Je peux te le dire, nous on pourrait pas, et il y en a plein qui pourraient pas non plus. »
La dernière nuit, vous la passez dehors, comme au bon vieux temps. Les étoiles ont changé désormais, tu ne reconnais plus la Chasseresse et le Téméraire. Un lambeau de brume passe devant le croissant de lune fin comme un cheveu. La nuit est sombre, divine.
*
A ton grand désarroi, vous sortez plutôt promptement de la forêt. Vous arrivez sur une route constellée de nids de poule, en tout point identique à celle qui t'avait amenée vers la forêt, il y a bien longtemps de cela. L'espace d'un instant terrible, tu te demandes si tu es bien sortie ? Si tu ne serais peut-être pas revenue chez tes parents, par une affreuse inadvertance ?
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HERNE
Short StoryDéshonorée, Lydia décide de s'enfuir de son horrible famille, de son village mesquin, de son destin de labeur et de honte. La voici qui se lance sur la route et s'enfonce dans la forêt de Herne, là où vivent les Autres... "Il prend l'apparence d'un...