Chapitre XIII - Fraternité

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Au détour d'une ruelle du centre d'Alcyton se tenait un homme, dans l'ombre, invisible au regard des rares passants. Une capuche empêchait son visage de se dévoiler. Adossé au mur de la boutique d'un tanneur, il attendait, les bras croisés, à l'affût des bruits autour de lui. Les sabots d'un attelage résonnèrent sur le pavé mouillé.

Il leva la tête. Un homme apparut à ses côtés.

— Alors ? l'interrogea-t-il.

— On a un problème...


Castian pénétra dans la chambre de son père, la peur au ventre. La pièce sombre sentait l'alcool et un mélange de plantes médicinales qui lui retourna l'estomac.

Il avait longtemps hésité avant de venir. La perspective de se retrouver face à ce lit lui nouait les tripes.

Son père était entré en frénésie peu de temps avant le retour du jeune homme d'Alshideis. Ils n'avaient rien pu faire. Voilà ce qu'il arrivait lorsqu'un métamorphe perdait tout contrôle. Personne n'était à l'abri. Les nerfs d'acier du vieil homme n'avait pas suffit à l'en prémunir.

Caylan Wrencalipion paraissait étrangement paisible dans ce sommeil artificiel. Seule sa forte respiration perçait le silence de la chambre. Ses traits s'étaient creusés et de nouveaux sillons marquaient son visage. Une barbe naissante épousait les lignes de sa mâchoire, si blanche qu'elle paraissait lumineuse.

— Papa, murmura-t-il, la voix chevrotante, c'est moi, Castian.

Il ne répondit pas. Bien sûr... Qu'avait-il espéré ?

Ce roc, à force d'encaisser les coups, avait fini par se fissurer et finalement s'effondrer tout à fait.

Castian fixait son père sans trop savoir quoi faire de lui-même. Il se demanda s'il l'entendrait. Mais il ignorait de quoi l'entretenir. Peut-être de ses nouvelles. Son périple sur les terres d'Alshideis. Impossible, il ne pouvait le partager avec personne.

— Aujourd'hui, le vent s'est levé. L'hiver s'annonce difficile cette année, tu sais.

Il s'arrêta, jugeant ses paroles trop stupides pour continuer. Il ferma les yeux. Oh papa, si tu savais... J'ai tellement de choses en moi et personne pour m'aider. Il les rouvrit. Ici, il n'avait pas à faire bonne figure. Il s'approcha du lit et s'assit sur la chaise destinée à l'infirmière de garde. Il prit la grosse main de son père pour lui donner un peu de sa chaleur. Castian s'étonna qu'un endroit puisse autant mentir. Cette pièce avec son étonnante quiétude abritait un homme au bord de la mort.

Le bruit d'un pas derrière lui interrompit son recueillement. L'infirmière lui fit un signe.

— Au revoir papa, murmura-t-il. Je vais revenir, tu sais.

Dehors la lumière argentée d'un ciel voilé l'aveugla. Isola semblait si triste depuis son retour. Les habitants avaient déserté les rues. L'inquiétude rongeait la forteresse. Castian resserra les pans de son manteau. Il frissonna d'un froid en lui. Impossible de se réchauffer. Le garçon marcha en silence, en prenant soin de se hâter avant que la nuit ne le surprenne.

Lorsqu'il rentra chez lui, il surprit des éclats de voix s'échapper des portes fermées du salon. Son frère était encore en pleine réunion avec ses compagnons. Il n'eut pas le cœur de les rejoindre et partit directement dans sa chambre. La journée avait été éprouvante et il ne se sentait pas le courage de faire semblant. C'était une chose de mentir à son frère, c'en était une autre de garder son calme quand tout en lui bouillonnait d'émotion.

Il monta les marches avec lenteur. Une partie de lui était restée à Alshideis.

Le jeune métamorphe songea à la reine. La femme qu'il avait croisée ce matin dans l'hémicycle avait le regard d'une prisonnière juste avant l'exécution.

Le général était un monstre. Un tortionnaire de la pire espèce dont il avait fait les frais. D'y penser, son cœur se crispa un peu plus encore. La force brute qu'était son frère avait été le seul rempart contre ce monstre. Il n'était encore qu'un enfant mais le souvenir demeurait aussi vif qu'à son réveil, baigné dans la lumière orangée de ce ciel d'aube qui peinait à atteindre l'arrière de cette auberge. Il avait ouvert les yeux dans les bras d'un Carwyn rageur. Sa bête l'avait trouvé juste à temps, le corps bringuebalé sous les coups d'un Ahearn frénétique. Il l'avait arraché in extremis des mains de la faucheuse.

Il referma la porte de sa chambre. Pourquoi penser à cette histoire ? Il s'inquiétait pour une reine qu'il avait à peine connue. Son frère se serait moqué de lui s'il avait pu lui en parler. Il soupira.

Il se retourna brusquement. Personne derrière lui. Non, personne, nulle part dans sa chambre. En même temps, qui pourrait passer la sécurité de la forteresse d'Isola ? Un assassin peut-être. Castian secoua la tête. Il fallait qu'elles s'arrêtent, ces pensées qui lui traversaient l'esprit sans son accord. Et puis, de toutes façons, il devait avoir mille autres préoccupations en ce moment.

Trois coups furent portés à la porte et Castian bondit. Trois coups, c'était un code avec son frère. ll lui ouvrit. Carwyn le regarda, le front plissé par l'inquiétude.

— Ça  va ? T'as vu papa ?

Castian opina. L'alpha pénétra dans la chambre.

— Je suis en bas avec les gars. Tu veux pas nous rejoindre ?

Castian secoua la tête.

— Je comprends... Castian, je crois qu'il faut qu'on parle...

Il s'assit sur son lit et posa ses mains sur ses genoux. Carwyn ne se sentait pas fier de ce qu'il s'apprêtait à faire... Il lui fallait vérifier certaine vérités et pour ce faire, le mensonge constituait un excellent révélateur...

— Arthus m'a parlé de ce que vous avez vu, là-bas, à Alshideis.

Le temps d'une courte seconde, son cadet écarquilla les yeux, étonné, avant de reprendre une expression neutre. D'accord, donc il s'était bien produit un événement.

— Tu ne veux pas t'asseoir ?

Le garçon refusa. Il croisa les bras et riva son regard sur le bout de ses chausses. Arthus, il pouvait concevoir que sa faiblesse envers la gente féminine et son sens du bagou le pousse à détourner les faits à son avantage, mais que son frère lui dissimule une partie de la vérité, cela n'avait aucun sens. 

— Tu veux m'en parler ?

Cette question représentait la chance qu'il laissait au garçon de faire amende honorable avant qu'il ne soit trop tard. Castian refusa d'un mouvement de tête. L'alpha ne put réprimer un grognement de mécontentement. Il prit une inspiration profonde avant de reprendre.

— Cette Armandine, quelle femme...

Aucune réaction. Bien, continuons.

— Et la reine...

Son cadet frémit.

— Elle est donc si cruelle qu'on le dit ?

Castian le regarda, un voile de douleur sur le vert de ses iris. Il s'agissait donc de la reine...


La reine invisible [TW]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant