_ Et ça ? Poubelle ou on garde ?
Et voilà. Jour 21 du confinement. Gabrielle se retrouve à faire le tri des placards de la salle de bains. Qui n'est pas passé par là ? Qui n'a pas profité de ces quelques semaines d'immobilité forcée pour engager un grand rangement ? Chez certaines personnes, le tri est symbole de renouveau, de bien-être. Pour elle c'est juste un corvée. Elle soupire.
_ Sérieux, Maman ? Un vieux chouchou ? Tu veux que j'en fasse quoi maintenant ? Poubelle, évidemment.
_ Et ça, Gab' ? demande Lily, sa petite sœur de huit ans.
Elle lui présente une vieille épingle à cheveux, rouillée par endroits. Elle est à deux doigts d'indiquer le sac qui sert de poubelle quand tout à coup, l'objet brille d'un éclat particulier. La pièce n'est pourtant pas bien éclairée. C'est comme si il émanait de lui une lumière qui lui était propre. Gabrielle est interloquée et décide de la garder. On ne sait jamais.
_ Maman ? Elle sort d'où celle là ? demande-t-elle en lui présentant la petite épingle.
Sa mère se retourne et l'inspecte.
_ Hmm, elle a dû appartenir à Mamie quand on a fait du rangement chez elle.
Sans savoir pourquoi, Gabrielle est intriguée par cette épingle. Elle sent comme une force irrépressible qui la pousse à la toucher, à la garder. Peut-être parce qu'elle a appartenu à sa grand-mère dont elle ne sait rien ? Elle va dans sa chambre et s'enferme pour mieux l'observer (et pour échapper à la corvée). Elle remarque soudain une petite poussière, accrochée là, sur le dessus. Elle l'essuie délicatement avec un bout de mouchoir en tissu.
Tout à coup, l'épingle bouge. Surprise, l'adolescente fait un bond et lâche le petit objet. Une lumière vive s'en dégage, créant un halo qui s'étend de plus en plus. Puis, une petite dame plutôt ronde et âgée, avec de longs cheveux noirs, s'extirpe de l'objet.
"Pfiou ! Il était temps ! Depuis le temps que je suis enfermée là dedans ! C'est qu'c'est pas épais ces choses-là ! Tiens, mon cousin Alfred par exemple, il est enfermé dans une lampe et c'est vachement plus spacieux !"
Elle lisse sa longue jupe, puis semble enfin remarquer Gabrielle, qui la regarde avec un drôle d'air.
"Ah oui, pardon, je me présente : je suis Esmeralda, la génie de l'épingle !
_ La quoi ? s'exclame la jeune fille, sortie de son mutisme.
_ La génie, enfin ! Quoi ? Tu n'as jamais entendu parler des génies des objets ? Bon, bien sûr les génies des lampes sont les plus connus mais il en existe bien d'autres : les génies des ampoules, les génies des télévisions, les génies des machines à laver, les génies de ..."
Elle s'interrompt en remarquant l'air interloqué de la jeune fille puis continue d'un ton narquois :
"Quoi ? Tu ne crois quand même pas que les chaussettes se perdent toutes seules ou que les pulls raccourcissent à cause du lavage ?
_ Euh ... si ? répond timidement Gabrielle.
La génie semble exaspérée.
"Ah lala les jeunes de nos jours, quelle bande de naïfs ! Plus aucune imagination, plus aucun esprit critique ! Bon, bref, je m'égare, dit-elle en secouant la tête.
_ Mais ça fait longtemps que tu es là-dedans ? demande la jeune fille qui ne semble toujours pas en croire ses yeux. Une génie dans sa chambre ?!
_ Oh, une bonne centaine d'années. J'ai dû sortir cinq à six fois depuis."
Gabrielle écarquille les yeux. Et elle qui se plaignait d'être enfermée depuis seulement trois semaines !
"Tu sais, j'ai bien connu ta grand-mère, ton arrière-grand-mère, ton arrière-arrière-grand-mère ... Une brave fille ton arrière-arrière-grand-mère Berthe d'ailleurs ! Tu sais qu'elle a mené une révolte ouvrière dans les années 1890 ?
_ C'est vrai ? s'exclame l'adolescente. Chez elle, on parle très peu de la famille de sa mère, même depuis la mort de sa grand-mère car les deux femmes étaient brouillées depuis toujours. Elle est donc très curieuse d'en apprendre plus.
Elle continue à écouter attentivement Esmeralda qui lui conte les aventures de ses ancêtres. La vieille dame est visiblement très bavarde à cause de ses années de solitude qu'elle doit rattraper. Gabrielle n'en revient toujours pas ! Quand elle racontera ça à ses copains du collège. Un génie ! Comme dans Aladdin ! D'ailleurs ...
_ Et Aladdin, alors ? Elle est vraie l'histoire ? interroge-t-elle.
_ Ah, Aladdin ... Seulement un génie de lampe qui n'a pas pu résister à l'envie de se montrer et qui s'est baladé chez Walt Disney.
Les questions s'enchaînent, la jeune fille en a tellement à lui poser !
_ Pourquoi tu n'apparais que chez des femmes ?
_ Hmm ... répond la génie qui semble subitement perdue dans ses pensées. Mauvaise expérience avec un homme alors je me tiens loin d'eux dorénavant. C'est pour ça que j'ai choisi une épingle à cheveux. Moins de problèmes.
_ Vous pouvez choisir votre objet alors ?
_ Bien sûr, rétorque la vieille dame en riant. Tu crois que c'est la dictature à l'Académie des génies ou quoi ? Chacun choisit sa destinée.
Un silence plane quelques instants pendant que Gabrielle semble réfléchir à ces paroles.
_ Bon, n'oublions pas ma mission première. Tu as le droit à trois vœux.
_ Des vœux ?! s'exclame Gabrielle.
_ Non mais tu crois quoi ? Que je suis apparue juste pour te faire la causette ? Je suis un génie, moi. Et comme tous les génies, j'accorde des souhaits. Tu as frotté l'épingle, tu as le droit à trois vœux, c'est la règle. Bon évite par contre ceux qui sont irréalisables, genre la paix dans le monde, tout ça tout ça... A ce stade-là, je ne peux plus rien pour vous.
Gabrielle ne relève pas et réfléchit quelques instants. Elle a toujours rêvé d'aller en Australie. Ou au Maroc ! Pourquoi pas en Asie ? Et devenir astronaute ? Ou vétérinaire ? Ou présidente de la République ? Après, il y a bien ce petit Adrien, qui l'embête à l'école ... Ou bien Sophie qui lui pique toujours son goûter ! Elle pourrait aussi demander de ne plus jamais avoir à ranger sa chambre ...
Les idées fusent dans son esprit avec enthousiasme pendant plusieurs minutes.
_ Réfléchis bien, l'interrompt Esmeralda. Il n'y a pas de deuxième chance. Je ne viendrai qu'une seule fois.
Gabrielle se concentre encore un peu. Elle finit par se rendre compte que tous ses voeux s'orientent vers un même objectif.
_ Je n'ai qu'un seul vœu, Esmeralda, déclare-t-elle d'un ton assuré.
_ Ah ? Un seul vœu ? s'étonne la génie. Tu es sûre ? C'est la première fois que ça m'arrive !
Alors, Gabrielle la regarde droit dans les yeux et énonce :
_ Je veux être heureuse.
Puis elle se sent glisser des bras de Morphée et revient à la réalité. Elle se souvient tout à coup où elle est. Un éclair de déception la traverse. Non, les génies n'existent pas. Esmeralda non plus. Mais elle n'a pas besoin d'elle pour réaliser son souhait.
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Un éclair de génie
Historia CortaUn jour, en faisant du tri dans sa salle de bains, Gabrielle trouve une étrange épingle à cheveux. Que cache cette mystérieuse épingle ayant visiblement appartenu à sa grand-mère ?