Margaret mourut quand Betty avait huit ans. Violée par une bande d'alcooliques sans scrupule un soir, elle qui n'avait déjà plus le goût à grand-chose, avait perdu tout goût. Elle avait choisi la mort la plus douce possible : une bonne dose de médicaments. Avant de partir, comme on dit pour éviter de choquer les âmes sensibles et éviter de se rapprocher de ce thème si sinistre qu'est la mort, elle avait rédigé une petite lettre pour ces enfants.
«Mes doux amours (même à cet instant, son amour pour ses enfants était intact), je suis désolée. Désolée d'être venue au monde dans ce pays où j'étais prédestinée à ne jamais réussir. Désolée d'avoir été assez stupide pour croire aux contes de fées. Désolée d'avoir cru en ces hommes fourbes qui m'ont eue avec de belles paroles. Désolée de vous avoir mis au monde pour que vous souffriez vous aussi ! Désolée de ne pas avoir été assez courageuse pour vouloir mieux pour vous. J'aurais pu devenir mannequin, tout le monde me disait que j'étais belle. On me faisait des clins d'œil à chaque coin de rue, même les Blancs me trouvaient jolie ! Mais je suis restée là, à attendre je ne sais quoi. Je n'ai jamais su ce que j'attendais d'ailleurs. Je voulais être heureuse et vous apporter la meilleure vie possible. Mais j'attendais, comme une vache regarde une charrette passer sans savoir pourquoi elle la regarde à chaque fois étant donné que c'est toujours la même chose. J'ai tant espéré, mais aujourd'hui, je n'espère plus. Pire encore, je hais ! Je hais les gens heureux, tous ces couples amoureux, ces gens que l'on voit dans les magazines qui sourient à tout va, car même si l'on prétend que certains sont malheureux, ils ont la vie dont j'ai rêvé et ils ont encore le courage de sourire. Je ne sais plus à quand remonte mon dernier sourire, je comptais les jours que je passais sans sourire, mais là, cela fait tellement longtemps que je me suis arrêtée. J'en viens même à haïr les religieux qui croient en ce Dieu génialissime, qui nous a posés sur terre, fait don de ce cadeau empoisonné qu'est le libre arbitre. Cette machine à problème qui nous pousse toujours dans le gouffre. Mais avant tout, je hais les hommes. Car ils choisissent de trahir, de bafouer, d'aimer le superficiel et de cracher sur ce qu'il y a de plus vrai. Parce que ce sont des lâches, des monstres sans scrupule. Pardonnez-moi mes fils mais je sais que vous finirez comme eux. Mes filles, ne tombez pas dans le même piège que moi. Rejetez les hommes. Faites abstraction de toutes leurs paroles empoisonnées, de leur venin. Et vivez, vivez pour vous. Faites-vous belles, allez danser, amusez-vous mes chéries. Ma Betty, tu as été mon support, ma joie de vivre et mon rayon de soleil. Garde foi en toi et en l'avenir, et ne laisse pas ta vie défiler comme maman l'a fait. Reste innocente mais sois avertie, contrairement à moi. Garde tout l'amour que tu portes en toi pour toi seule. Tes sœurs le feront bien tu verras, elles ont déjà tout compris. Mais toi, tu as eu le malheur d'hériter de ma bonté. Envoie-la en Enfer ! Elle ne te servira à rien, si ce n'est à finir comme moi. Je vous aime mes amours, mais je n'en peux plus. Vous allez me détester, mais je me déteste moi-même, alors rien ne peut être plus violent. Je vous aime ne l'oubliez pas mais c'est la haine qui me tue. »
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Lettre d'une mère à ses filles
General FictionUne mère déçue, une mère déchue. Un lettre qui déchire, une lettre sans désire. Extrait de mon roman "Betty"