Tap Tap Tap

24 7 3
                                    

Tap tap tap

Ces petits bruits que je ne connaissais que trop bien. Les claviers dans l'amphithéâtre, les travaux du quartier, les souris dans le mur, la semelle anxieuse au restaurant, le contact réconfortant d'un ami, le rythme entraînant, le professeur en attente du silence, le public satisfait, le mécontentement du voisin. Beaucoup de possibilités en réalité.

Tap tap tap

Cette fois-ci pourtant, des frissons me parcouraient l'échine. Ce son m'était familier, mais je voulais le connaître plus profondément. Il était différent de ce que je pensais. Les élèves notant ce que le prof expliquait, les maçons construisant un mur au bout de la rue, les rongeurs se réfugiant pour déguster leurs trouvailles, le jeune homme tapant du pied en attendant son rencard à la table à côté, les frappes dans le dos avant de quitter mon ami, la chanson d'ambiance passant en boucle à la radio, l'enseignant tentant de se faire respecter en tapant du poing sur la table, les applaudissements suite à une représentation magnifique, le voisin du dessous avec son balai pour que l'on diminue le son des basses.

Tap tap tap

Ceux-ci, je les connaissais en détail. Ils étaient encrés avec précision dans ma mémoire. L'endroit, le moment, l'ambiance, l'odeur. Mais j'en entendais un autre. Un autre Tap tap tap à encrer dans mes souvenirs. Pas ceux du crâne, ceux du cœur. Encore un son à identifier, tourner et retourner, aimer et détester. Car il ne durerait qu'un instant. Il était mon présent, et serait mon passé. Je ne l'entendrai peut être pas de nouveau. Il ne ferait sûrement pas partie de mon futur. Donc je persistais. Je l'écoutais, j'en profitais.

Tap tap tap

Autour de moi j'oubliais tout. Même plus, je m'oubliais moi. J'étais paralysée, effacée. Je ne voyais plus que lui, je n'entendais plus que lui, je ne vivais plus que lui. Plus aucun son de rail, plus aucune voix, plus de brouhaha, plus de cliquetis des valises, plus de rire, plus de pleurs, plus de pas, plus de silence. Juste lui, ce bruit.

Tap tap tap

Il avançait vers moi, mais je ne pouvais plus rien faire. Je l'aimais. Je l'aimais tant. Puis il s'arrêta. Autour, tout revint. A mon cou, ses bras. A ma poitrine, ses larmes. A ma taille, ses jambes enroulées. Elle était enfin là, dans mes bras. Collée à moi.

Tap tap tap

Le son avait disparu, mais pas elle. La prunelle de mes yeux se trouvait à quelques millimètres de moi. Plus jamais je ne voulais la quitter. Plus d'interférence, plus d'écran, plus de pixels. Juste du réel. Sur le quai de la gare, après des mois d'attente, je la tenais serrée, collée contre ma peau. Mes larmes coulaient, tant de soulagement. Les kilomètres de distance avaient disparus.

Tap tap tap

Mon cœur battait, elle était debout, devant moi, les yeux mouillés. J'essuyais ses joues, plongeais dans ses yeux et profitais. Je me souviendrai plus que jamais du lieu, du moment et de l'odeur. Son odeur. Elle sentait la vanille. Son odeur préférée, la mienne aussi. Mon corps tremblait, mes larmes coulaient, mes jambes semblaient prêtes à me lâcher tandis que tout mon être s'emplissait de bonheur et d'amour. Je vibrais ce que je ressentais pour elle.

Tap tap tap

Ce bruit réapparaissait. Mais je le connaissais trop bien pour que ce soit mon préféré. Une seconde suffit à me faire ouvrir les yeux pour aller ouvrir la porte au facteur. C'était terminé. En réalité ça n'était pas arrivé. Une fois de plus je l'avais rêvé à force d'espérer l'entendre.

Pensées IncongruesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant