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(Fabien )

Nous sommes dans un coin du foyer. Arthur et Violette s’entendent mieux. Pas bien, mieux. Il faut dire qu’Arthur est un drôle de personnage. On le dirait sans filtre. Il ne réfléchit pas avant de parler. Cela provoque régulièrement - quotidiennement - des réactions verbales ou physiques. Et comme dans son fauteuil, il est un peu vulnérable,  j’essaye de l’aider. Les deux jours où Arthur n’est pas là,  Violette est différente. Plus souriante, moins angoissée aussi car lorsqu’un élève s’en prend à Arthur, nous nous retrouvons obligatoirement au centre de l’action.

Nous avons deux heures de permanence ce matin, Violette m'a préparé des exercices à faire sur le cours que nous avons révisé hier. Arthur, un livre posé sur la tablette de son fauteuil roulant, est concentré sur sa lecture. Violette, à table à mes côtés, prend des notes d'un article du pc portable.

— La bégayeuse, tu vas le lâcher le portable ? l’interpelle un mec.

Je lève les yeux de mes feuilles de brouillon, prêt à en découdre quand Arthur, à ma grande surprise,  intervient.

— Pour commencer, elle ne bégaie pas et même si c’était le cas tu n’as pas à l’insulter, réplique-t-il d’une voix moqueuse. Ensuite, si tu prends le temps de te retourner, tu verras que sur le bureau média , il reste deux autres pc.

Surpris par la remarque d’Arthur, l’autre reste un instant bouche bée, puis avec un air pas aimable s'avance vers le fauteuil. D’un mouvement rapide, je me lève. Mon but est juste de lui montrer que je suis là et visiblement cela suffit.

— Pourquoi as-tu fait ça ? interroge Violette, fusillant Arthur des yeux.

— Il voulait juste t’intimider. Ce genre de mecs est tellement prévisible, explique celui-ci. Une fois qu'ils ont réussi leur coup, tu es foutue.

— Tu es certain que cela ne leur donne pas envie de retenter justement ? fais-je remarquer sceptique sur le bien-fondé de la stratégie.

— Ils vont sûrement s'y employer mais si nous tenons bon, nous serons tous les trois gagnants.

— Tu as déjà testé ? s’ informe Violette.

— Non. Mais c’est logique.

— J’aimerais vraiment que tu ne te serves pas de nous comme cobayes pour tes petites expériences, le tance-t-elle. Ce n’était pas un problème de lui passer le pc, car justement il y en avait d’autres. Ainsi, ce mec m’aurait laissée tranquille. Avec ta stupide intervention, je vais l’avoir, lui et ses amis, continuellement sur le dos. Moi, Arthur, je ne suis protégée ni par mon fauteuil ni par mes muscles.

Arthur la regarde, étonné de la remarque. Violette a les yeux brillants mais je ne sais pas si c’est de la  colère.

— Nous serons là,  Fabien et moi.  Pour te protéger, se contente de dire Arthur.

( Martin)

J’ai préféré m’installer sur l’îlot central. La pièce est bien chaude et plus agréable que le bureau. De plus,  Aymeric doit passer d’ici trois-quart d’heure pour me rendre le siphon et le sac isotherme. Aucune nouvelle de Lucas par contre. Il peut toujours rêver pour que je l’appelle. De toutes façons, mon planning est quasiment plein jusqu'à la fin du mois. L’essai d’être en groupe restreint est très efficace. Les participants sont satisfaits pour l’aide que je leur apporte et n’hésite pas à me recommander à leurs amis.
Un bruit du côté de la baie vitrée me fait sursauter. Il s’agit d’Aymeric.

— Bonjour. Entrez. Je ne m’attendais pas à vous voir arriver par ici.

— J’ai sonné plusieurs fois sans résultats, chuchote-t-il.

— Je vais regarder cela très vite. Désirez-vous un café, un thé ?

— Je veux bien un café. J’ai ramené le matériel aussi.

Il est face à moi, je sens à sa posture qu'il veut dire quelque chose mais ne trouve pas le moyen de l’amener. Je récupère le sac à ses pieds et le pose sur la table.

— Avez vous été satisfait de ce cours, Aymeric ?

— Oh, bien entendu. J’ai acheté un siphon pour pouvoir le refaire le cas échéant. J’aimerai prendre un nouveau rendez vous…

— Je récupère mon agenda. Seul ou en groupe, demandé-je en tournant les pages.

— Cela m’est égal... enfin, je préférais éviter que Lucas soit présent. S'il vous plaît.

Je tourne la tête vers lui, il est tout rouge.

— J’y veillerai, ne vous inquiétez pas. Son comportement…

— est insupportable, conclue-t-il. Vous devez intervenir.

— Je sais, Aymeric. Cette situation ne peut plus durer. Lucas cherche à obtenir de moi, quelque chose qu'il a cru entrevoir. J’ai vu son regard sur vous. Il en a fait exprès pour me provoquer. Je vais régler ceci au plus vite.

Je viens de réaliser à quel point Lucas joue avec moi. Et surtout que c’est à moi de dire stop. J’ai été troublé par son charisme,  il a su en profiter et s’en amuse d'une façon malsaine. Je trouve une date pour Aymeric qui s'en va aussi discrètement qu'il est arrivé.  Je ferme tout, ma décision est prise.

(Violette )

Arthur avait un rendez-vous cet après midi, et je décide d’en profiter.

— Fabien ? Je voudrais te parler d'un truc. Tu as cinq minutes ?

— Mais où est passée la petite Violette qui n’ose pas faire un truc pareil, se moque-t-il.

— Cela fait deux jours que j’attends qu’Arthur nous lâche un peu…

— C’est donc important.  Je suis le pré-test, c’est ça ? Je crois qu'il va me falloir toute ma concentration,  allons dehors.

Nous nous installons sur un banc et Fabien allume tranquillement sa cigarette. Il me connaît bien, il sait qu'il me faut toujours un peu de temps pour me lancer.

— Cela me prend trop d’énergie, Fabien. Je ne peux plus canaliser cette angoisse.

— Alors lâche-tout . Raconte-moi.

— J’aime étudier, tu le sais. Mais, tout ce qu'il  y a autour, explique-t-elle en montrant la cour, m'épuise. Je ne suis jamais réellement posée ici.

— Est-ce quelqu'un t’embête encore ?

— Non. Chez nous, je me sens bien. Je n'ai rien à craindre de personne. Ici, tout peut arriver. Tu comprends ?

Je le fixe, il est troublé, découvrant à quel point cette peur continuelle me bloque.

— Tu as l’intention d’étudier à domicile ? C’est cela ? Je ne suis pas certain que ce soit une très bonne idée. Le monde ne changera pas, Violette. Si tu t’en écartes, chaque rencontre sera encore plus terrible. J’ai peur que Martin pense la même chose que moi. 

L'assiette est pleine Où les histoires vivent. Découvrez maintenant