Journal, deuxième entrée

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Canal de Suez, jour 45:

J'ai le regard tourné vers la rive quand un murmure précipité se fait entendre. Les autres matelots vaquent à leurs occupations, nous avons le vent en poupe, et ce murmure a quelque chose de dérangeant dans la quiétude ambiante, uniquement troublée par les cris des mouettes qui nous narguent depuis les cieux. Je me retourne, alerte. Que nous réserve le voyage cette fois ?

Soudain le capitaine prend la parole, et déclare, à quelques mots près :

" Des pirates ont mis cap sur notre navire, moussaillons. Nous allons garder notre calme et suivre la procédure. La moitié d'entre vous va rejoindre les cales du navire et rassembler le plus de munitions possible afin de se préparer à faire feu quand je vous l'ordonnerait. Les autres, tenez-vous prêts à défendre le pont. Coupez les cordes s'ils tentent d'accoster et préparez vous à défendre avec fierté l'honneur de la France de vos glaives !"

Une angoisse dévorante s'attaque à mon estomac. Je manque de m'effondrer. Adrien, à mes côtés, s'enquiert de mon état :

"Alain, tu es sûr que tout va bien ?
- J'ai l'estomac fragile, mon ami, et cette sombre nouvelle n'arrange pas mon état...
- Ne t'en fais pas, tu n'as qu'à secouer ton épée en l'air pour les intimider, et ils s'en iront, dit-il sur le ton de la boutade."

Pourtant je le vois trembler derrière son air détaché. Lui aussi, il a une mère, une fiancée, une femme même peut-être qui l'attend de l'autre côté de la mer. Je me sens soudain stupide de m'en faire pour mon sort alors que je n'ai rien d'autre à défendre que ma peau. Changeant de sujet, Adrien me glisse :

"Tu sais tenir une épée au moins ?
- Non... Je suis plus un savant qu'un bretteur sur le navire...
- Quel rapport avec la science, hein ? Le médecin se bat presque mieux que le capitaine tu sais."

Je déglutis. Suis-je donc le seul homme sur mer à ne pas connaître l'art de l'épée ? Adrien me prend soudain doucement par le bras.

"Alain, tu ne peux pas te battre sans rudiments en la matière. Nous allons faire semblant de chercher les munitions dans la calle ensemble, tu ramènera deux ou trois sacs de poudre sur le pont, puis quand le capitaine aura le dos tourné, tu iras rejoindre ta cabine discrètement, d'accord ? Je te couvrirais rassure-toi.
- Vraiment ? Tu ferais ça pour moi ?"

Il pesta.

"Le capitaine ne va pas être content, mais je m'en voudrais de t'envoyer à la mort. Il faut que tu vives, Alain. Ta science pourrait nous être très précieuse pendant le voyage."

Je le gratifie d'une accolade.

"Merci Adrien."

Nous faisons alors mine de descendre pour aller chercher tout matériel susceptibles de servir durant la bataille, et après quelques aller-retour fructueux, je rejoins ma cabine, profitant d'une éclaircie parmi les matelots qui s'occupent du ravitaillement en munitions, et occupe mon temps en caressant la gorge de la rainette, que je commence à affectionner après ce long temps en mer passé en sa compagnie. Peut-être devrais-je songer à la baptiser ? Je ne sais, à vrai dire, si elle est mâle ou femelle... Lassé par le petit animal humide, je prends une plume et continue l'écriture de ce journal.

Après une heure d'attente dans ma cabine, à retranscrire les formidables événements qui ont pu nous arriver depuis le commencement de ce voyage, j'entends toquer à la porte.

"Adrien ? Est-ce toi ?"

Aucune réponse. J'entrouvre la porte pour m'assurer de l'identité de l'homme qui y frappe, quand un coup violent dans mes côtes me jette à terre. J'ai à peine le temps d'apercevoir une joue brune, un bandeau rayé et des bras puissants que j'ai une lame pressée sur ma gorge. L'homme vocifère des menaces en une langue dont je comprends pas un traître mot, mais le message est clair : si je crie, ou si je bouge, je suis un marin mort.

Le poids du coutelas entrave ma respiration, tandis que le pirate jauge la pièce, essayant sans doute de deviner mon statut, et la valeur de la monnaie d'échange que je constitue auprès du reste de l'équipage.

"Tu perds ton temps, je ne vaux rien, lui dis-je, ce qui a pour effet de l'agacer, étant donné qu'il ne comprend rien non plus à ce que je lui raconte."

Toutefois il perçoit dans ma voix un ton narquois qu'il lui déplaît assez pour entailler ma chair. Je laisse échapper un gémissement.

Nous restons quelques minutes dans cette position : moi contre le mur, une lame sur la carotide, lui, vainqueur, une main sur ma bouche, prêt à m'ôter la vie au moindre faux pas. Je retiens mon souffle par peur d'une éraflure contre la lame.

Les gestes qui me sauvent la vie se font quelques secondes : Nous entendons des pas précipités dans l'escalier, l'Africain me cloue au sol, je lui mord la main, et écope d'une estafilade sur le nez. La porte s'ouvre en un grand fracas, un homme tire sur mon agresseur, qui s'effondre : c'est Adrien.

Sous le choc des évènements qui viennent d'avoir lieu, je m'effondre sur le sol et suis rapidement pris de sanglots. Mon ami me frictionne l'épaule avec cette camaraderie un peu guindée qu'ont les hommes.

En sortant sur le pont, après m'être calmé, je constate notre victoire. Une victoire au prix hélas de pertes parmi les nôtres, mais une victoire qui se célèbrera sans doute ce soir, sous les étoiles en compagnie d'alcool et de souvenirs de femmes, pour mieux oublier le sombre parfum de la mort.

Alain Poe

***

Voilà mon texte fleur_sauvage_ ;)
J'étais pas très inspirée mais j'espère que tu l'appréciera ;)

Merci encore à -Sakura175- EightNoAme et _unefillensolitaire

Lisa Thelmar

Chroniques d'un pirate explorateurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant