Correspondance avec Pénélope Peret, deuxième extrait

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" Alain,

Tes lettres me sont bien parvenues. Notre enfant grandit bien et il est en pleine santé. Nous avons décidé de le prénommer Christian, car comme tu t'en souviens, la famille de mon mari est très pieuse et y voit un moyen de le placer sous de bons auspices... Je reste mitigée à l'égard de ces sentiments religieux qui ne m'émeuvent pas, mais qu'est ce qu'un prénom, sinon un moyen de distinguer un étranger d'un autre, un mot qui se perd quand on devient plus familier de celui qui le porte ?

Tu te demandes sans doute pourquoi je t'écris après tant de temps. Et bien, je le confesse, j'ai pris beaucoup de plaisir à lire tes lettres, tantôt courroucée, tantôt émue, plaisir suffisant pour que l'envie me gagne de t'écrire en retour. Entretenir une correspondance avec un ancien amant, il est vrai, pourrait entacher ma réputation, mais je ne vois pas quelle honte je pourrais avoir à m'enquérir de la santé d'un vieil ami. Cela doit bien faire six mois que je ne reçois guère de tes nouvelles, et j'en finis par m'inquiéter de ton sort, toi qui sur tes dernières phrases me narrait une hardiesse toute neuve. Je me souviens encore quand nous étions enfants et que tu avais failli te rompre le cou en sautant dans la rivière qui coulait au bas du moulin de notre oncle. Tu n'es pas très bon à ce genre d'exercice, et je n'ose pas imaginer quelles atrocités pourraient te causer les individus qui vivent dans ces îles que tu décris avec tant de poésie et de justesse.

J'espère très vite de tes nouvelles, Adieu mon ami,

Pénélope. "

" Chère Pénélope,

Je me trouve actuellement dans un lieu d'où il me sera difficile de te faire parvenir du courrier, toutefois, je te jures d'y remédier au plus vite, pour ne pas te causer plus de chagrin.

Pardonne-moi je te prie pour la lettre un peu décousue que je vais t'offrir, car il y a beaucoup de choses à dire, et bien peu de papier, c'est pourquoi je m'essaierai à être bref, si je le puis.

Je suis ici en bonne compagnie, parmi une tribu qui nous accueille comme si nous étions des leurs, dont l'hospitalité est sans égale, et dont les femmes, crois-le bien, n'ont rien à envier aux nôtres. Elles ont ici un hâle tout à fait charmant, qui rend leur sourire plus éclatant de blancheur encore que les nôtres, et leurs coiffures élaborées mêlées de fleurs exotiques leur donnent plus de charmes que toutes les dames éduquées de la cour réunies.

Mais revenons-en au sujet principal, car je m'égare. Nous nous trouvons actuellement sur un petit archipel à la jonction entre l'Océan Indien et le Pacifique, peuplé seulement d'une tribu au teint caramel et aux étranges mœurs. Bien que nous ne comprenons pas le langage de ces autochtones, nous parvenons à trouver accord assez souvent, et le capitaine fait preuve d'une ferveur peu commune à communiquer avec nos nouveaux amis, si j'ose dire. Il semble transporté par les paysages que nous découvrons, bien plus que moi même, et je crois ne jamais l'avoir vu avec cette expression de pleine gratitude que quand il regardait l'étendue d'eau sous le soleil couchant, pas plus tard que la veille.

Pour ma part, je me sens bien différent du jour où je t'ai quittée, différent même du moment où j'ai achevé et renvoyé ma lettre à ma douce destinataire. Rien ne me semble plus douloureux de rentrer dans notre pays, et rien plus heureux que de toujours demeurer ici, à ramasser des coquillages grands comme mon bras, à vivre du soleil et du sable, du vent et de la marée.

L'on dit des voyages qu'ils donnent à ceux qui les entreprennent l'envie poignante de retrouver la chaleur d'un foyer; or je ne connais pas cette chaleur, et j'ose espérer m'en passer. Ce périple, comme j'aime à l'appeler, m'a donné à réfléchir et à découvrir, à ressentir comme jamais je n'avais ressenti. Plutôt que de l'achever, j'aimerais ne jamais le finir, et c'est pourquoi j'espère, ma tendre amie, que ces lettres soient le commencement d'une longue correspondance, si cela ne te fait pas outrage.

Le monde est si vaste. On n'en voit pas le bout. Certains le disent plat, d'autres sphérique, je dirais pour ma part qu'il regorge simplement de beaucoup à découvrir quand nous avons si peu de temps. Je voudrais mettre ce temps à contribution.

Je me sens drôle, depuis quelques temps, je me sens minuscule et insignifiant. J'ai perdu l'envie de servir mes propres intérêts. J'ai rencontré une foule de personnes nettement différentes, qui ne parlaient pas mon langage, hostiles ou pacifiques, et j'ai réalisé à quel point mon esprit, avant de prendre la mer, était étriqué et dirigé dans un sens unique : je veux remédier à cela.

Tu as peut-être l'impression que je parle en énigmes, laisse-moi donc te dire le fond de mes intentions : je veux faire des études en sciences. Peut-être pour devenir biologiste; peut-être pour mettre fin à cette escroquerie de "météorologie" science qui n'existe pas et que je ne maîtrise en rien. Mais j'ai l'ambition de continuer à servir, sur d'autres navires, en tant que bon scientifique pour les progrès de l'humanité.

Je veux servir des intérêts plus vastes, œuvrer pour la communication entre les hommes, voyager pour m'initier à des mystères encore irrésolus, et faire tout mon possible pour que, dans un avenir proche, nos connaissances sur un monde si surprenant, si unique, grossissent un peu, même si je ne dois apporter qu'une amélioration minime. Je veux croire que j'ai les moyens de servir ma patrie, mais pas seulement, servir aussi le monde, autant qu'un grain de sable peut transformer une plage par ses actions.

Tu te diras sans doute :

"Où est passé le petit garçon, qui, pour impressionner sa jolie cousine, sautait des ponts dans la rivière glacée, à s'en écorcher les jambes ?"

J'aimerais te répondre qu'il a grandi, mais je crois n'être responsable de cette croissance en rien : C'est le voyage nous change tous, en bien comme en mal, c'est la mer qui nous porte et nous façonne, et nous ne sommes que des jouets à sa surface, qu'elle tue ou préserve avec insouciance.

Adieu mon amie : nous nous reverrons bientôt, quand je retournerait en France pour entreprendre mes études : je te souhaite d'être préservée de l'inquiétude,

Affectueusement,

Alain Poe.

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⏰ Dernière mise à jour : Oct 10, 2023 ⏰

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Chroniques d'un pirate explorateurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant