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Réaliser ses rêves demande énormément d'efforts ainsi que de sacrifices. Et quand bien même tu donnes le meilleur de toi même, qui te dit que tu arriveras à tes fins ?
Moi, j'ai tout perdu. L'espoir de réussir ma vie ? Elle est tâchée, froissée, déchirée ; fichue. Il n'y a plus rien à espérer.
Le prochain client ne devrait pas tarder à arriver, j'imagine que ce sera de nouveau un gros lourd macho qui ne va pas me prendre en considération comme une femme mais un objet. C'est toujours pareil, et malheureusement je me suis habituée.
Une belle image de la personne que je suis, n'est ce pas. Moi même je n'arrive pas à me regarder dans le miroir de cette coiffeuse.
Je sers le poing, ça serait dommage d'abîmer ma belle peau de porcelaine qui fait plaisir à tant de personnes en brisant mon reflet.
La porte s'ouvre, je respire et oublie un instant mes valeurs. Les valeurs n'ont pas d'importance dans ce métier. Dans tous les cas elles seront bafouées.
Je me tourne vers mon commanditaire et lui fais mon plus beau sourire.
« Pourquoi souriez-vous si ce n'est pas sincère ? »
Pourquoi ? Je m'étonne moi même à réfléchir à ce simple mot.
« Parce que je le dois. Vous ne voudriez pas payer pour une personne tirant une gueule de 20 mètres de long, je me trompe. »
« Moi ? Je ne suis pas là pour ça. En fait, on m'a obligé à venir mais... bof, c'est pas vraiment ma tasse de thé »
Je me décrispe. C'est bien la meilleure celle-là. Et son argent ?
« Mais il va bien falloir rentabiliser ? Je suis là pour ça vous savez. »
J'avale difficilement ma salive en réfléchissant à ma dernière phrase. Je ne sers qu'à ça.
Le jeune homme s'assoit sur le lit. Je me retourne, prenant soin de l'observer discrètement. Il est beau, vraiment beau. Il a des traits fins, une peau parfaite et une mâchoire bien dessinée. On peut le dire, il est agréable à regarder.
Il me sourit et enchaîne.
« Et bien pour ne pas que mon investissement ne soit gâché, venez vous asseoir et parlez moi de vous. »
Cet homme est étonnant. Je me lève, et vais m'asseoir en face de lui sur le lit.
Sans comprendre pourquoi, sa présence m'appaise.
« On peut se tutoyer ?
J'hoche la tête de bas en haut.
« Alors, comment t'appelles-tu ? »
Il me demande ça avec un grand sourire, pouvant réchauffer le cœur instantanément. Ce genre de sourires auxquels je n'ai jamais eu le droit. Mais ce n'est qu'un client après tout.
« Je... Je m'appelle Ji-Ae et j'ai 18 ans. »
« Enchanté Ji-Ae. Tu me sembles extrêmement jeune pour être dans ce buisness. »
Je frissonne. Je suis jeune. Et pourtant je suis là, à satisfaire des hommes. Je ne lui réponds pas. On ne s'était jamais intéressé à moi avant aujourd'hui, dans cet endroit définit comme mon lieu de travail.
« Je ne voulais pas te brusquer... »
Je sursaute.
« Oh... je... oui je suis jeune... je suis tombée là-dedans assez tôt... je gâche ma vie... »
Pourquoi ? Pourquoi est-ce que je lui parle ? Pourquoi est-ce si simple de lui parler ? Pourquoi je suis là ?
« Ji-ae, tu vas bien ? »
Je sors de ma transe.
« Je me suis habituée. Tu sais, au bout d'un moment on ne se rend même plus compte que notre corps a été souillé. Je suis une bonne à rien et j'imagine que c'est ce à quoi j'ai toujours été destinée. »
« Pourquoi tu dis ça ? Moi je pense que c'est surtout une démonstration de force. Ce métier est vivement critiqué mais on en oublie le mental d'acier qu'ont les personnes qui le pratiquent. »
J'écarquille les yeux. Il pense vraiment ça ? Je me suis toujours considérée comme un vulgaire morceau de plastique depuis que j'ai débuté ce métier, un pauvre chiffon qu'on jetait après qu'il ait été utilisé. Je reste silencieuse tandis qu'une boule se forme dans ma gorge. Je souffle et reprend la conversation.
« Merci de penser ça. Merci de me rendre plus belle. Mais j'ai bien peur que tu sois un cas parmis d'autres à réfléchir comme ça. Dans ce métier on apprend, pour la plupart, à laisser de côté ce qui nous définit, nos valeurs. Nous ne sommes qu'une coquille vide utilisée pour le plaisir charnel de notre client.»
Je souris en repensant à ses paroles et à sa façon de penser atypique. Mais un gout d'amertume se fait ressentir en repensant à la description de mon travail. Une coquille vide.
« Tu as déjà pensé à arrêter ce métier ? »
« Je n'ai plus rien à sauver. Je gagne de l'argent, c'est le principal. Et puis, qu'est ce que je ferai si j'arrêtais tout ? Je n'ai nulle part où aller.»
« Tu n'as jamais cherché à faire autre chose ? »
Je ferme les yeux, me remémorant mes rêves de jeunesse. Aller à Paris, voyager... Mais mes rêves sont éteints, on a soufflé dessus.
« Qui voudrait d'une ancienne prostituée ? »
« Moi. »
J'écarquille les yeux. Alors que j'allais lui répondre, on toque à la porte.
« Le temps est terminé. Je prierai au client de sortir de la pièce en vérifiant qu'aucun effet personnel n'ait été oublié. En espérant que l'expérience ait été bonne. »
L'expérience...
« Merci pour cette agréable discussion »
J'aimerai lui dire. J'aimerai lui dire merci d'avoir illuminé ma triste routine. Mais je ne suis qu'un objet de consommation. Les sentiments importent peu.
« En espérant que l'expérience ait été bonne »
Je lui souris tristement et le raccompagne vers la porte.
Quand cette dernière se ferme, je me mets à pleurer. Je pleure toutes les larmes qui se sont accumulées amèrement. Il m'a fait me sentir importante pendant l'espace d'une heure. La seule personne qui ne m'a pas jugée.
Je m'assois face à ma coiffeuse en attente de mon prochain client.
Et pour la première fois, je me regarde dans le miroir.
