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De: Emilie.Bosquet@gmail.com Ven 1 juillet 2016 13:25 (Il y a 1 jour)
À: Camille.Cherney@gmail.com
Sujet: Informations pour votre arrivée
Bonjour Camille,
Je profite de ma pause déjeuner pour t'écrire ce dernier mail avant ton arrivée prévue demain en fin de journée (si je me souviens bien de tes horaires de train). De toute façon, pas d'inquiétude à avoir, je serais présente à mon magasin durant toute la journée. Toutefois, si je devais m'absenter, je te préviendrais.
Tes affaires sont bien arrivées via le transporteur et elles ont été déposées dans l'appartement. Pensant voir arriver un nombre important de carton j'avais aménagé une pièce afin d'accueillir l'ensemble de tes affaires. Finalement, je me suis permise d'entreposer les quelques valises et sac le long du mur du salon... j'espère avoir bien fait ?
Comme tu le sais, tu es la première personne à vivre en tant que locataire à plein temps dans mon appartement auparavant loué de manière saisonnière. Changer mon comportement d'hôte en celui de propriétaire me donne l'impression de revêtir une peau de serpent...
Bref, tout cela pour te dire que l'appartement est prêt et qu'il n'attend plus que toi !
J'ai également hâte de te rencontrer après nos différents échanges de mails, appels téléphonique et documents administratifs durant ces derniers mois dans le but d'officialiser ton arrivée dans notre belle région.
Je te souhaite déjà un bon voyage pour demain.
Au plaisir de te rencontrer pour un nouveau chapitre.
Cordialement
Émilie.
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Avec un léger sourire pouvant laisser croire à de la nostalgie, Camille fait glisser le mail sur son écran de téléphone pour en activer la fermeture. Par la suite elle verrouille son portable et le pose devant elle sur la petite table mise à sa disposition ; sa main restant en contact avec l'objet. Ses yeux glissent quelques secondes sur la gauche pour voir défiler le paysage par la fenêtre avant de revenir sur l'écran lumineux affichant déjà la liste de ses mails.
Elle l'avait déverrouillé instinctivement et se met à relire le dernier mail reçu par Émilie. Mail qu'elle a relu le soir même dans l'obscurité de sa chambre d'hôtel. Lu à nouveau en ce milieu d'après-midi pendant qu'elle attendait le train à la gare Montparnasse. Et finalement le relire encore une fois, comme pour se confirmer qu'elle ne rêvait pas; que ce jour est enfin arrivé : le jour où elle quitte tout.
A cette pensée, son sourire s'intensifie de plus belle. Ce n'est pas un sourire de nostalgie, bien au contraire, c'est un sourire de bien-être. Comme lorsque nous prenons une douche bien chaude à l'instant même où la sensation de sentir la couche de dégoût commencer à se décoller pour faire apparaître une nouvelle peau, ou simplement faire apparaître notre véritable nature. Pas celle que cette société veut nous voir endosser.
Se réécrire ?
Non ! Pense Camille.
Se réécrire signifierait reprendre l'existant pour le modifier. Mais elle ne désire rien réécrire, ni réinventer, elle ne veut pas de « ré ». Elle refuse de coller à cette nouvelle existence ce préfixe exprimant la réitération; le fait de revenir à une étape antérieure dans l'espoir de le changer.
Le passé est mort, pourquoi vouloir chercher à le changer ?
Ses yeux chargés de déterminations se posent sur la dernière phrase d'Emilie: « Au plaisir de te rencontrer pour un nouveau chapitre. »
Un nouveau chapitre !
Ces mots font scintiller les yeux noisettes de Camille embrasant le feu de liberté qui couve en elle depuis presque six mois ; depuis ce jour où elle a décidé de reprendre sa vie.
Fiévreusement, elle se penche en avant et s'accoude à la table pour saisir son téléphone à deux mains, offrant ainsi plus de mouvement musculaires ordonnant à son objet quotidien d'effectuer aussi vite que possible les idées jaillissant dans son esprit. Sa première instruction est de créer un dossier s'intitulant « Un nouveau chapitre ». Ensuite faire une recherche sur l'ensemble des mails envoyés et reçus avec le mot clé« Emilie.Bosquet@mail.com ».
Le symbole «recherche en cours » apparaît puis, après quelques secondes une page grise avec la phrase «Erreur de chargement » s'affiche.
Camille laisse échapper un juron faisant relever la tête de la femme d'une cinquantaine d'année assise à sa diagonale. Cette dernière, après un regard médisant laissant sous-entendre que la société d'aujourd'hui est totalement dépendante de ces petits objets, retourne avec délectation dans les derniers potins de son magazine préféré. Camille aimerait lui demander ce qui est le plus nocif: son portable ou «le torchon de faux scoop inédit » qu'est gavé ces magazines. En définitive, elle préfère effectuer un glissement de bas en haut avec son pouce pour exécuter un rechargement de la page de messagerie. La France a beau avoir une bonne couverture réseaux en général, la situation reste bien souvent aléatoire dans un TGV.
Après quelques secondes durant lesquelles Camille retient son souffle, une nouvelle page s'affiche indiquant: 28 résultats trouvés.
Toujours pour se prouver que l'instant qu'elle vit est réel, elle décide de parcourir les différents mails, avant de les déplacer vers leur nouvel emplacement. Son premier échange avec Émilie date d'un peu plus de trois mois. En effet, si son envie de liberté couve depuis plus de six mois, ce n'est que depuis un peu plus de trois mois qu'elle s'est décidé à quitter la région Parisienne. Elle a pris cette décision quand son bailleur l'a contacté pour signaler de prochains travaux de réfection dans l'immeuble qu'elle occupait.
— Je vous remercie pour votre appel, répond Camille après les longues explications du bailleur. Cependant vous avez devancé mon appel... je voudrais mettre fin à mon bail de location ! Conclue-t'elle d'une voix soulagée.
Dans le silence qui suit son annonce, elle porte un nouveau regard sur son appartement et un sentiment d'oppression l'envahit. Son cœur semble lui hurler: « Mais qu'est-ce que tu fous ici ? »alors que son esprit tente de la raisonner en lui demandant ce qu'elle est occupée de faire.
Je décide de vivre ! répond une voix martelant sa poitrine.
Comme pour aider ce muscle à propulser un sang neuf dans son organisme, elle sent ses poumons inspirer un air frais emplissant sa cage thoracique et gonflant sa poitrine au point de se sentir serrée par son soutien-gorge. Une chaleur nouvelle s'empare totalement d'elle, ses mains deviennent moites.
Après un temps lui paraissant une éternité, elle entend la voix étonnée et légèrement déçue de son bailleur. Dans un premier temps elle s'étonne de son attitude sachant qu'elle n'a contact avec lui que par une opération bancaire mensuelle. Mais elle prend rapidement conscience que c'est justement le fait de ne plus avoir cette somme planifiée qui le chagrine ainsi qu'espérer trouver rapidement un nouveau locataire aussi docile qu'elle l'était.
Mais c'était avant. Avant de réaliser que je suis occupé de gâcher ma vie !
Camille sent son cœur se refermer quand son bailleur lui demande si elle est sûr de son choix; cela paraît si soudain !
En effet, moins d'une minute. pense-t'elle.
Nouvelle pulsation dans sa poitrine.
Depuis combien de temps je ne l'avais plus entendu battre aussi vite ? Aussi vivant !
Après une nouvelle pause, son bailleur lui explique les modalités de résiliations de bail; qu'elle est dans le délai des trois mois pour effectuer sa lettre de résiliation et qu'ils fixeront ensemble une date pour un état des lieux quelques jours avant la fin du contrat. Camille le remercia, raccrocha et se mis à pleurer à chaude larme. De joie? De tristesse ? Elle est incapable de le dire en cet instant.