D'un œil aguerri, je jette un dernier regard autour de moi m'assurant que tout est parfaitement en ordre. Dans un peu plus d'une heure, les mariés et leurs invités envahiront la salle et, dans une dizaine de minutes, les serveuses. À ce moment-là, je pourrai passer le relais espérant que tout se déroule comme prévu sans qu'elles n'aient à m'appeler durant mon repas avec mes amis.
- Voilà, encore une organisation qui arrive à son terme, ne puis-je m'empêcher de songer avec un petit pincement au cœur. Je ressens toujours un peu de tristesse à l'idée de ne plus voir mes clients, de sortir de leur vie que j'ai partagée durant souvent plusieurs mois.
Comme on peut le lire sur ma carte professionnelle,
Emma Seyez Evan
Organisatrice événementielle
Mariage, soirée privée, repas, anniversaire
mon emploi consiste à organiser la réception parfaite pour mes clients depuis maintenant cinq ans.
J'ai commencé cette activité juste avant la fin de mon congé parental et, depuis cette date, c'est grâce à elle que je garde la tête hors de l'eau, enfin, en partie. Ma vie n'est effectivement pas tout à fait celle que j'ai rêvée. En revanche, elle est celle que j'ai choisie.
Visiblement, je ne fais pas toujours les bons choix ! À 18 ans, j'ai rencontré Paul Evan, celui qui deviendrait dix ans plus tard mon époux. Il a cinq ans de plus que moi plutôt beau garçon, bien fait, les cheveux bruns et les yeux marrons, musclé juste ce qu'il faut, ni trop grand ni trop petit seulement un peu trop banal. Pour lui, à vingt-trois ans, il estimait avoir suffisamment profité de sa jeunesse pour ne plus sortir tous les week-ends. Autrement dit, telle une cendrillon, il rentrait à minuit tapante le samedi soir, me laissant frustrée et envieuse de nos amis qui partaient s'éclater en boite. Si bien que deux ans plus tard, je prenais pour amant son meilleur ami avec qui j'avais pris l'habitude de sortir. Autant dire qu'ils ne se parlent plus à présent. Pourtant, par faiblesse ou facilité, j'ai fini par quitter José, lui préférant Paul. Deux enfants et un mariage plus tard, je me suis sentie tellement étouffée que j'ai expédié les deux derniers mois de mon congé parental, quitte à perdre un peu d'argent, pour me lancer dans la vie d'autoentrepreneur. Moi qui me suis tant ennuyée pendant ces trois années de mère au foyer, je ne pouvais rêver mieux que d'organiser des fêtes, égayant ainsi ma vie terne de mère, bonniche la journée et putain le soir. Et puisqu'un bonheur n'arrive jamais seul, c'est à cette époque que j'ai croisé José, que je n'avais pas revu depuis neuf ans, fraîchement divorcé et pressé de me distraire. En moins de temps qu'il n'en faut pour l'imaginer, nous nous retrouvions, moitié nus dans sa voiture, moi sur lui, toujours animé par la même passion pour le corps de l'autre.
Bref, depuis cinq ans, j'ai presque une vie de rêve, des enfants que j'aime par-dessus tout, grandissant au sein de leur famille parfaite en apparence, un travail qui me motive toujours, un amant qui me comble et des amis pour parfaire le tableau. D'ailleurs, si je ne me dépêche pas de sortir de mes songes, ils arriveront avant moi.
Dans un sursaut, je donne les dernières consignes aux serveuses qui s'activent déjà et m'empresse de récupérer mes affaires restées au vestiaire. J'en profite pour saluer l'équipe du traiteur déjà en place et quitte la salle. C'est bizarre, dès que je dois travailler avec ce professionnel, je me sens mal à l'aise. Je ne sais pas trop pourquoi, je ne le sens pas. Sa grosse bedaine pointant de façon arrogante vers l'avant et son regard me donnent la sensation d'un homme vicieux. Un frisson de dégoût me parcourt à chaque fois que je sens ses petits yeux porcins se poser sur moi. D'ailleurs, les femmes ne restent jamais très longtemps dans son entreprise, répandant dans leur sillage des rumeurs dérangeantes sans toutefois aller plus loin. Pour finir, je le trouve carrément médiocre dans son activité. Cependant, ses tarifs restent tellement raisonnables que sur le budget d'un mariage ou d'une grande soirée c'est un élément qu'on ne peut que prendre en compte. Et même si je ne le recommande pas, je ne fais que conseiller mes clients qui restent les décideurs sur un choix tout de même restreint dans notre région. Ce sont les inconvénients de la vie à la campagne. Il faut parfois faire de nombreux kilomètres pour avoir accès à des spécialistes. Pourtant je ne quitterais pour rien au monde ma petite ville de quatre mille cinq cents habitants et des poussières, entourées de villages tout aussi petits. Il y règne une atmosphère tranquille, reposante. Et, quand l'agitation la gagne, il y a toujours un endroit calme où se réfugier. Ici, les immeubles collectifs sont rares et, les maisons sont entourées de pelouse et de jardin, et même bien souvent de prés et de bois résonnant des rires et des cris des enfants qui en font leur terrain de jeux. Il n'est pas rare non plus, lorsqu'on s'aventure dans les écarts d'y croiser un lièvre, un chevreuil vivant paisiblement leur vie d'animaux sauvages. On trouve même encore quelques chapelles en bon état. Je ne suis pas croyante, mais j'aime l'odeur et la paix qui y règne comme dans celle du bout de ma rue où je peux me réfugier lorsque des émotions trop violentes m'habitent. Je m'assois sur un banc juste le temps d'en respirer l'air et me sentir apaisée.
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M. Scoatney
RomanceMariée, deux enfants, un amant, j'ai tout pour être heureuse, si ce n'est de ne compter pour aucun homme. Bonne à tout faire pour l'un, putain pour l'autre, je compose avec les deux sans grande conviction. Jusqu'au jour où mon regard croise celui de...