Réveil difficile, Paul ronfle encore à côté de moi alors qu'une douleur vrille mes tempes. La lumière qui filtre au travers des rideaux m'a réveillé beaucoup trop tôt à mon goût. Pourtant, si j'en crois le peu que je vois, le ciel parait bien maussade et n'augure rien de bon. Je me retourne dans le lit et tente de me rendormir mais l'abus d'alcool de la veille me dissuade de persister. J'ai bien peur que ce ne soit une journée sans, même constat côté moral où mes exploits dans les toilettes, malgré un orgasme plus que valable, me laissent un goût amer. Si j'en crois mes pensées, je me suis donnée comme une vulgaire salope afin d'assouvir un désir déclenché par un autre. Pire, ce désir n'est pas totalement assouvi car, si sur le moment je me sentais détendue, je ressens à nouveau ce besoin du corps inconnu de Manuel Scoatney. Je crois qu'il est temps que je me retrouve face à moi-même et surtout que je fasse passer les abus de la veille. Aussi, je me lève, attrape une tenue de footing dans le dressing et me dirige vers la salle de bain. Je prends rapidement une douche fraîche pour me réveiller, bois un verre d'eau et allume mon téléphone afin de choisir une playlist bien rythmée pour me motiver. Le temps de sortir les écouteurs et de les brancher, je remarque l'arrivée d'un nouveau sms.
« Bonjour Emma, merci pour l'adresse c'est un très bon resto. J'espère que vous avez passé une bonne soirée. À bientôt. »
Mon esprit encore embrumé s'allume rapidement à la lecture de ce message. D'un coup ma journée s'annonce moins sombre. Je tape rapidement une réponse lui annonçant que ma soirée était bonne et qu'une prochaine fois il faudrait qu'il se joigne à nous pour découvrir le bar de nuit, et je sors dans la grisaille du matin.
Les premières foulées sont difficiles et me poussent à renoncer. Pourtant, c'est la meilleure façon que je connaisse pour faire passer la gueule de bois et celle qui convient le mieux à l'introspection. Je décide de faire un tour plus petit que les autres jours et prends la direction de la forêt. De ce côté, la circulation est rare tout comme les habitations, je suis donc seule avec moi-même. Surtout, je sais que Manuel vient d'acheter sa maison dans ce coin et j'essaye de me convaincre que je suis seulement curieuse de voir dans quel cadre il vit. En fait, rapidement je me surprends à espérer le croiser. Je mets vingt minutes pour arriver en vue de chez lui. D'instinct mon allure diminue me permettant d'observer les lieux avec attention. Soudain, mon cœur fait un bond dans ma poitrine sans que le footing y soit pour quoique ce soit. Je viens en effet d'apercevoir l'objet de mes désirs sur sa pelouse, légèrement en hauteur par rapport à la route. Il ne lui faut pas plus de deux secondes pour entendre le bruit de ma course dans le silence environnant et moins d'une pour me reconnaître. La chaleur de son regard sur mon corps brûle ma peau et d'un coup je ne sais plus qu'elle attitude adopter. Je me sens ridicule, à courir ici. Je suis certaine qu'il va tout de suite comprendre qu'il est la raison de ma présence en ces lieux. Ce n'est pas possible, je me suis déjà fait remarquer hier soir et voilà que je recommence ce matin. Dois-je alors, l'ignorer, faire mine de ne pas l'avoir vu ou reconnu ? Trop tard, il me fait déjà signe et se dirige vers moi. Je sens mon visage rougir et je me félicite d'être en pleine activité sportive. Au moins je pourrai toujours mettre ma couleur sur l'intensité de l'exercice physique.
- Bonjour Emma, comment allez-vous, me demande-t-il lorsque j'arrive à sa hauteur.
- Je dirais que ça va déjà un peu mieux, je lui réponds m'en voulant aussitôt pour ma réponse.
Moi qui ne faisais qu'allusion à mon état au réveil, je vais réussir à lui faire croire qu'il agit sur mon humeur. Aussi je tente de me justifier en ajoutant :
- Le vin blanc était un peu trop bon hier et je crois en avoir abusé.
- D'où le footing pour récupérer. Vous venez souvent courir par ici ?
- J'essaye de courir trois fois par semaine mais, je change régulièrement de parcours même si j'ai quelques préférences. Je varie en fonction de ma forme et du temps que je dispose.
- Donc petit parcours aujourd'hui ?
- Oh oui, je lui réponds en riant.
Je pourrais rester la journée entière à parler avec lui, mes yeux rivés aux siens si magnifiques. À cette pensée, un frisson me parcourt de part en part, lui laissant croire que je suis en train de me refroidir. Aussi, m'encourage-t-il à repartir, me souhaitant une bonne journée tout en me fixant toujours. Je dois faire un effort surhumain pour me détacher de sa contemplation et reprendre ma course beaucoup plus difficile après cet arrêt. Je l'ai à peine quitté que je ressens déjà le manque de sa présence. Je suis vraiment ridicule. Comment puis-je attacher autant d'importance à une personne que je ne connais ni d'Adam ni d'Ève ? Je ne pense qu'à lui, je n'ai qu'une envie, le rencontrer, apprendre à le connaître, et le toucher, surtout le toucher. Comment expliquer un tel phénomène ? Je suis mariée, j'ai même un amant, comment puis-je envisager faire entrer un troisième homme dans ma vie ? Sans parler de l'estime que je vais avoir de moi. Je ne suis pas une croqueuse d'homme mais là, je commence sérieusement à m'interroger. Paul a toujours représenté ma partie raisonnable et José le choix du cœur. Moi qui pensais seulement avoir fait une erreur au moment de choisir entre les deux hommes de ma vie, je commence en fait à douter de ma fidélité et de ma stabilité. Et après Manuel, ne vais-je pas passer d'homme en homme toujours insatisfaite ? Pire, serais-je en pleine crise de quarantaine, le démon de minuit version féminin ? Je ne trouve aucune réponse à ces questions lors de mon footing mais malgré tout, je me sens un peu mieux, la tête moins douloureuse et l'estomac à l'endroit après ces quelques kilomètres.
VOUS LISEZ
M. Scoatney
RomanceMariée, deux enfants, un amant, j'ai tout pour être heureuse, si ce n'est de ne compter pour aucun homme. Bonne à tout faire pour l'un, putain pour l'autre, je compose avec les deux sans grande conviction. Jusqu'au jour où mon regard croise celui de...