Il va sauver tant de vies !
Des mois que le docteur Peterson travaille chez lui sans relâche, et ses recherches l'ont conduit à découvrir un nouveau genre de maladie. Le genre à bouleverser la science et le monde dans son ensemble :
Une musique qui pousse les gens à se suicider.
Bien sûr, on le prendrait pour un fou avec cette simple théorie. Du moins, pour le moment.
Le regard exorbité par l'acharnement d'un travail encore inachevé se focalise alors sur le titre du fichier qui apparaît sur son écran d'ordinateur : « Le Bohémien ». Un double-clic. Juste un double-clic, c'est tout ce que cela prend pour avancer dans ses recherches. Un instant, le risque hante son esprit. L'angoisse gratte à la surface de son crâne telle une bête incapable de rester en place. Certes, d'après ses propres calculs, seuls deux pourcents se retrouvent infectés par les notes funestes. Un chiffre si minuscule,mais si gargantuesque à la fois.
Pourtant, l'envie le tenaille. Macabre obsession, tout ce mystère lui tord les entrailles. Il désire savoir. Plus qu'un besoin, c'est une nécessité. Le reste n'est que futilité comme en témoigne son bureau chichement éclairé. Noyée sous une mer de papiers noircis, la pièce connaît néanmoins quelques naufragés : une assiette à peine entamée, abandonnée dans un coin, une vieille pendule dont il ne regarde jamais l'heure, et enfin, trônant au-dessus de tout, un portrait de famille.
Ne serait-elle pas fière de le voir devenir le nouveau héros de ce monde ?
Plus il y songe, plus cela est évident. Il déglutit. Sa main masse sa nuque nouée avant de se poser, dans un geste fébrile, sur la souris. Et s'il meurt, tant pis. La mort aussi a sa part fascinante de mystère.
Le curseur sélectionne le titre. Pendant quelques secondes, le temps se suspend. Il tend l'oreille, plus attentif que jamais.
Puis, la mélodie s'enclenche.
Les premiers accords flottent lourdement. Déjà, ses doigts pianotent sur le bois de son bureau pour en appréhender la rythmique. Les basses, elles, forcent son cœur à pulser de façon désagréable. Petit à petit, les instruments se multiplient, piano, violoncelle, flûte, guitare, tambour... L'orchestre disparaît au profit d'un chaos criard et grinçant.
Outre une partition dissonante, le docteur n'éprouve rien de particulier. Lorsque le morceau prend fin dans un claquement tranchant, c'est une immense déception qui le frappe de plein fouet. Son front se creuse. Il n'est même pas soulagé qu'aucune envie ne l'ai submergée de se jeter de la fenêtre du troisième étage. Lui qui s'attendait à percevoir quelque chose d'extraordinaire, il ne peut que constater que « Le Bohémien » n'est qu'un banal morceau joué par de simples amateurs sans talent.
Soudain, il se met à douter.
Peut-être s'est-il trompé de fichier ? Après tout, avec sa fatigue, son manque de sommeil, la faute est plus que plausible. Aussi, ses iris se balancent de gauche à droite face à l'écran à la recherche de son erreur. Les lignes se succèdent frénétiquement.
C'est alors qu'un cri déchire l'air ambiant. Le cœur battant, et sans plus réfléchir, ses pas le mènent bientôt dehors. Mais il n'en faut pas davantage pour comprendre. Nul besoin de lever la tête afin d'apercevoir une fenêtre ouverte au troisième étage dont les rideaux lilas flottent au vent. Nul besoin de comprendre le regard vitreux et pourtant, accusateur de sa fille.
Prostrée à terre, sa femme en sanglots tient entre ses bras le corps désarticulé de leur enfant.
Et comme un glas, l'effroi fracasse ses genoux au sol.
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Contes Lugubres
Short StoryRecueil de nouvelles horrifiques. A dévorer lors des nuits sans lune.