Chapitre Deux.

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« Maël c'est un joli prénom. »

C'est la certitude qui m'a trotté dans la tête toute la journée, et peut-être même toute la nuit aussi. Parce qu'il faut se l'avouer, je n'ai pas vraiment dormi. Pas vraiment pas du tout en fait. J'ai préféré tourner et retourner sur mon matelas, me torturer l'esprit encore et encore jusqu'à m'en donner une insomnie définitive.

_Ferme ta bouche beau brun, tu vas gober les mouches, rit Eleanor qui passe derrière moi en me frappant gentiment dans le dos.

Je lève les yeux au ciel et réprime un nouveau bâillement ; c'est vrai que c'est tellement amusant de faire des nuits blanches alors que l'on travaille le lendemain ! Je m'exécute néanmoins sans répliquer et jette un coup d'œil en salle : tous les clients sont assis et servis alors je retourne en cuisine pour sortir les poubelles.

La neige a commencé à tomber dehors ; de petits flocons tombent tout autour de moi, blancs et brillants. Ils n'ont évidemment pas la forme utopique que l'on dessine dans les contes de fées, ce sont juste de petites tâches immaculées et glacées qui voltigent dans les airs ; mais ça n'enlève rien à la magie du spectacle.

Et c'est magnifique.
C'est magnifique parce que j'ai brusquement l'impression de me retrouver quinze années en arrière, lorsque que je jouais dans le jardin publique de la ville avec Eleanor quand on avait tous les deux sept ans. On essayait alors désespérément de créer des bonhommes de neige, des anges de noël, avant d'aller boire un bon chocolat chaud dans la cuisine de ma mère. Généralement, on y ajoutait des chamallows roses et blancs, péché mignon qu'on avait découvert en allant à la fête foraine quelques années auparavant.

Une grimace traverse mon visage car le souvenir de ce genre de détails me rend un peu nostalgique.

Lorsque je rentre de nouveau dans le café, Eleanor, qui est en train de baisser le levier de la machine à chocolat et qui s'apprêtait à me parler, me jette un regard énigmatique.

_Ça ne va pas Lou ?

_Il neige, je me contente de répondre.

Un léger sourire traverse son visage et elle jette un coup d'œil par la fenêtre derrière moi. Ses cils bruns battent soudainement un peu plus rapidement que tout à l'heure et je sais qu'elle pense exactement à la même chose que moi.

_Toi aussi tu aimerais bien remonter le temps jusqu'au moment où notre seule préoccupation était de savoir de quelle couleur on allait colorier notre dessin ?

Ma voix n'est pas tremblante, elle n'est pas serrée, elle reflète juste de manière simple et douce ce que je ressens : une accumulation de sensations et d'émotions passées et présentes qui tourbillonnent dans la totalité de mon être comme les tempêtes de noël pendant l'hiver.

_J'aimerais le remonter oui, rit Eleanor qui a fini par retrouver sa joie de vivre habituelle, mais j'aimerais le remonter jusqu'au moment où notre seule préoccupation était de savoir comment on allait réussir à voler une carotte du bac à légumes de nos parents pour fabriquer un nez à notre bonhomme de neige !

Et je ris aussi ; parce que même si les années ont passées et qu'on a grandi, au fond, je sais qu'Eleanor est restée la même petite fille enjouée que j'ai rencontrée au jardin d'enfant à trois ans. Elle a gardé ses mimiques et sa répartie légendaire, et je crois que c'est pour ces raisons que j'admire et aime autant ma meilleure amie.

Une petite bouclette brune s'échappe de sa queue de cheval lorsqu'elle secoue la tête et elle reporte ses yeux couleur cacao sur moi avec un sourire taquin.

_En attendant, il est dix-huit heures onze Dom Juan, et ça fait une minute que ton client préféré attend que tu viennes prendre sa commande.

Je plisse les yeux en signe d'incompréhension avant de réaliser : il est dix-huit heures onze ! Ça veut dire que Maël est arrivé. Aussitôt, mon regard converge en direction de la baie vitrée et je le vois ; il est là, comme d'habitude, sous le brin de gui suspendu au dessus de la table. Le feu de la cheminée est un peu plus fort que les autres jours parce qu'il y a plus de bûches à bruler et les lueurs des flammes viennent caresser son visage fin. Il est beau.

Un amour de Noël.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant