Le chemin de ronces

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Septembre était enfin là. La fin de l'été et les journées qui raccourcissaient invariablement étaient annonciatrices, pour Maxence, du retour de la période sacrée de la chasse aux champignons.

Plus qu'un rendez-vous annuel: une institution. Depuis que, tout petit, son papa l'avait emmené arpenter prairies et bosquets des campagnes environnantes, le jeune homme attendait chaque année avec impatience cette période propice à de longues promenades dans la nature de son enfance. Et ce n'était pas tant pour les déguster ensuite, légèrement grillés dans du beurre à l'ail, que pour se sentir à nouveau enfant parti à la découverte de sentiers pittoresques.

- Alors, mon grand, tu repars à la chasse ? l'interpella Claudine, sa mère, un vieux cuivre et un chiffon à la main, alors qu'il s'équipait de bottes et d'un grand sac en toile de jute.

Depuis cinq ans maintenant, Maxence avait pris son indépendance et vivait seul dans un grand appartement situé dans la ville d'à côté. Mais il conservait encore énormément d'affaires dans la maison familiale, ce que lui reprochait fréquemment André, son père, désireux de récupérer enfin de l'espace dans sa propre demeure.

- Oui maman, tu sais bien: je ne peux pas me résoudre à laisser passer la saison des champignons. Tu as demandé à papa s'il voulait m'accompagner ? répondit le jeune homme de trente ans sans lever les yeux alors qu'il enfilait ses bottes.

- Ton père est occupé au potager: tu connais sa nouvelle passion pour la permaculture ! Il n'en bougera pas tant que tout ne sera pas exactement comme il le veut.

Maxence sourit. Le jardinage n'était pas son fort, mais il admirait l'énergie et l'inventivité que déployait son paternel lorsqu'il s'agissait de l'entretien de son immense jardin.

- Pas de problème maman, je vous en rapporterai pour faire une bonne poêlée ce soir ! Du moins, si je suis chanceux.

A ces mots, le jeune homme se releva, positionna son sac en bandoulière, et sortit de la bâtisse, laissant Claudine vaquer à ses occupations. L'atmosphère chaude et ensoleillée de ce début de mois de septembre lui parut enchanteresse et, directement au sortir de l'allée principale, il suivit la route à peine carrossable qui l'emmènerait à travers champs dans des lieux qui fleuraient bon l'oseille et la mélisse.

Cette fois, il avait décidé de laisser de côté le pré situé à côté du ruisseau qui s'écoule depuis le village voisin. Cela faisait quelques années que les champignons s'y faisaient plus rares et Maxence soupçonnait l'eau qui s'y infiltrait de ne pas contenir que des composants naturels. Non, cette année, il poursuivrait l'aventure plus loin: jusqu'au vieux chemin de terre envahi par les ronces: son père lui avait dit qu'il appartenait à Doubré, un vieux fermier qui y faisait souvent paître ses vaches. Mais père et fils ne s'y étaient jamais aventurés en raison de la végétation trop dense.

Aussitôt dit, aussitôt fait: alors qu'il s'enfonçait dans l'ouverture de plus en plus étroite que les végétaux lui accordaient, le jeune homme se demandait comment diable Doubré faisait pour y faire avancer un troupeau de vaches sans les écorcher à sang. Peut-être disposait-il d'un autre accès depuis un champ voisin ?

Après quelques éraflures et jurons endoloris, Maxence déboucha face à une vieille clôture en bois qui ne tenait plus debout que par habitude. Par-delà celle-ci s'étendait un petit pré baigné de soleil dans lequel une dizaine de vaches, regroupées autour d'un vieux chêne, se protégeaient des puissants rayons de l'après-midi.

C'est à peine si elle tournèrent les yeux vers l'intrus qui enjambait le portail avec un sourire de satisfaction.

Les champignons que recherchait Maxence étaient les agarics champêtres, cousins sauvages du bien connu "champignon de Paris". Au fil des années, il s'était documenté sur quels champignons étaient comestibles, et lesquels ne l'étaient pas. Et parmi la grande variété d'espèces présentes dans les prés, certains devaient être examinés avec attention. Tel était le cas, par exemple, des lépiotes, autres champignons que l'on trouve communément dans les environs. Certaines variétés de cette espèce sont en effet hautement toxiques, voire parfois mortelles.

L'homme remarqua immédiatement quelques lépiotes disséminés près du grand chêne, mais leur taille conséquente ne laissait pas planer de doute: celles-là pouvaient être consommées sans risque. Cependant, sa recherche était toute basée sur les agarics, dont il préférait le goût à nul autre, hormis les inimitables champignons des sous-bois.

Après une vingtaine de minutes d'une recherche infructueuse, Maxence s'arrêta et s'assit à l'ombre de l'arbre centenaire. Lentement, il se laissa couler en arrière et finit par s'allonger complètement, le regard distraitement tourné vers les premières grosses branches, mais attentif malgré tout aux quelques bovidés situés de l'autre côté de l'imposant tronc. Ceux-ci semblaient trop bien installés pour venir le déranger dans son repos. Le silence était total en dehors du bruissement des feuilles sous l'impulsion de la légère brise.

Son esprit s'égara alors, lui rappelant la réalité qui succéderait bientôt au weekend déjà bien entamé: sa séparation récente avec Audrey, la précédente "femme de sa vie" ; un travail de contrôleur automobile qui ne l'enthousiasmait plus depuis longtemps ; des clients de plus en plus hargneux ; une hiérarchie rigide et en perpétuel conflit avec sa base. Et surtout, une rémunération bloquée au même niveau depuis de longues années et qui lui permettait à peine de payer loyer, factures et de quoi se nourrir. La vie en solitaire n'était pas si simple. Heureusement, il y avaient les parents qui lui glissaient un billet de temps en temps pour lui donner l'occasion de mettre un peu de beurre dans les épinards.

Le jeune homme s'extirpa subitement de ses sombres idées alors que, baladant machinalement ses doigts dans l'herbe tout autour de lui, ceux-ci rencontrèrent un étrange objet dur et lisse, à la forme ovoïde. Pensant tout d'abord à un petit galet, Maxence ouvrit les yeux et ramena la main devant son visage: il tenait, entre son pouce et son index, un tout petit œuf d'un métal qui lui parut être de l'or...

Le Pré Aux Oeufs d'OrOù les histoires vivent. Découvrez maintenant