Chapitre Un : Beau Temps, beauté

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Resté au premier stade d'éclosion, rien ne changera.

La vieille fleur fanait dans les prunelles de Neito, sombrant dans le néant, le grande vide situé entre les lattes du parquet, par quais de port, les bateaux qui partaient sans jamais revenir. Une amertume salée s'échouait en son cœur comme un marin survivant, comme un pétale mort.

Un monde de pensées rien que pour lui.

Des champs de tournesols, sol de la première récole, enfants de la mélodie, ondulaient en une mer d'or. Les papillons aux écailles d'argent jaillissaient des vagues courbées du vent doux, qui caressait ses joues et ses cheveux d'un souffle tiède. Lui, humble beau-du-jour, navigateur solitaire du Soleil, se tenait sous l'océan floral, à l'abri des mauvais nuages, blancs moutons corsaires du firmaments. Il se laissa choir sans soupir, retourna dans les entrailles de la verdure, loin de la surface. Ici bas, l'air était moins lourd, plus pratique pour somnoler, pour voyager ailleurs et changer les tournesols en roses.

L'adolescent ferma les yeux, la Lune passa sous ses paupières.

Il chuta.

Lui et le vase.

Sa gueule d'ange s'éclata contre la réalité rugeuse. Réveillé d'absurdités fantomatiques, entouré d'éclats de vers... de verre, voulait-il penser, quelle idée que de songer poésie dans cette situation ! Une ligne carmine coula de son front pâle, fil rouge reliant la réalité et le rêve dans le salon aux murs blancs, semblables à ceux des hôpitaux tristes.

La monotonie lui revint dans un battement de cils; l'ampoule lui brûla les yeux, alors il détourna sa vue vers la fenêtre simple et ses rideaux, le canapée, la table basse où rien ne siégait, tout en prenant beaucoup de place, avec la télé dont les informations lui parvenait en bribes diffuses.

Il était dans son salon, seul.

Il devra passer le balais, et après, sortir les poubelles. Ah, et si il pouvait ranger la vaisselle, peut-être vérifier que l'intérieur du frigo n'était pas composé à quatre-vingt-quinze pourcents de malbouffe, de quoi crever quatre fois du diabète type le-sang-est-glucose, ça ne serait pas du luxe. Mais du coup, il devra cuisiner pour compenser, quelque chose de sain bien sûr, mais à part deux cornichons et du percil, il ne possédait rien de digne en bouche. D'ailleurs, il y avait bien un contrôle de science lundi ? Il n'avait pas révisé, et tricher se révélera ardu. De nos jours, c'était bien compliqué de frauder ! Ou alors facile, avec certains alters. Ce qui n'était pas son cas. Ni son jour. Ni sa vie.

Neito se ressaisit ; comment réagirait un héros professionnel ? Pleurer dans les bras de sa mère ? Ou affronter le danger et ses risques ? Lui, il était un peu au-dessus des autres, un peu mieux que la grande normalité, à un cran du presque bien, presque fier de ses exploits.

Il devait se relever, tenir le coup, mais le sol inconfortable le gardait dans son étreinte, un pont de navire qui chavirait en douceur vers la Lame de Fond, vers la tentation de l'abysse. Son grand œil qui ne voyait rien, tapis au fond de l'abîme, crochetait les désirs humains en les regardant d'en bas. Autour de lui, le monde tournait au ralenti, comme si il n'y avait jamais rien eu, qu'aucun humain n'avait jamais fouler la Terre. Non, il y avait juste l'ampoule qui était Œil de l'abîme et Lune à ses prunelles, dansant pour un spectacle de mille ans. Il l'imaginait en rêve fou, dans ses plus beaux vêtements de parade, en une forme de lumière intouchable et intangible, beauté de tant d'éclats que les cœurs célébraient de leurs plus grands poèmes.

Monoma resta allongé encore quelques indéfinissables instants au milieu des bouts de vase éparpillés ici et là, du temps qui passait et ses secondes qui n'atteignaient que lui. En ayant tant de choses à faire, la paresse et l'envie d'agonie ne paraissaient que l'inspirer d'avantage à l'inaction.

Tu es la PluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant