Ninon: Dubioza kolektiv -Himna generacije
Paloma: The clash -London callingNinon.
Les yeux dans le vague, tu regardes sans le voir l'écran de la télévision. Les couleurs déferlent, agressives et sanguines, tandis que les mots s'ancrent si profondément dans ton crâne que tu finis par les régurgiter à longueur de journée.
Tes mains tremblent sur les rebords de la table. L'esprit aspiré par les images tentatrices et funestes d'une réalité que tu feins ne pas reconnaître, tu perds ton regard dans la contemplation absente du, crois-tu, seul reflet de ce monde qui s'étend, menaçant, sous tes fenêtres.
Impuissant, tu t'enfonces dans ton canapé en t'interrogeant sur le sens de la vie, sur l'avenir de l'Humanité, sur la pertinence de ta présence sur Terre et, plus tragiquement, sur le nombre de jours qu'il te reste à y vivre. Construisant un tourbillon d'hypothèses et d'appréhensions nocives autour de toi, tu t'enlises dans la passivité.
Néanmoins, tes doigts valsent avec frénésie sur le clavier de ton ordinateur, porté par le rythme de la marche funèbre que compose ton esprit annihilé par les informations médiatisées. Ils transposent en phrases la rancœur sourde que tu portes aux générations précédentes et à ces humains peu affables qui ont porté ce monde à sa perte, tu fustiges l'égoïsme, le narcissisme, le nombrilisme des gens de notre temps. Tu craches sur les dérives du capitalisme, sur les inégalités sociales, sur la haine et le manque de tolérance. Tu brosses le portrait utopiste d'un monde idéal, issu d'un lointain passé fantasmagorique et tu perds de vue ton propre pouvoir.
Parfois, tu les entends, tu les vois à l'antenne, les cris sourds des âmes qui se déchaînent, celles qui se défont de leurs chaînes, qui hurlent leur peine au milieu de l'indifférence sereine. Tu les soutiens avec compassion sur les réseaux sociaux tout en te persuadant qu'elles s'enlisent dans des luttes trop complexes pour leurs épaules frêles.
Toi, tu les regardes de ton siège et tu attends un signal imaginaire. Le cœur bouillonnant d'une rage de vivre indécente pour un être au corps anesthésié, tu fixes les écrans à t'en brûler les rétines. Et, toi dont la grandeur des aspirations égale ton inactivité et dont l'ambition est aussi dévorante que la passivité, tu gâches ton pouvoir sans en avoir même soupçonné l'existence.
Les grands combats ne se règlent pas en un jour et les triomphes sont bien souvent une accumulation de petites victoires. Les grands hommes et les grandes femmes ont été jeunes un jour, leurs ambitions furent sûrement contrariées et leurs œuvres ne se construisirent pas d'un claquement de doigts. Les luttes ne sont pas forcément à mener à grande échelle et le nombre ne garantit pas l'efficacité de l'action. Certains anonymes se démènent pour défendre leurs valeurs et nombreux meurent dans l'ombre pour une cause qui leur tient à cœur.
La gloire et la reconnaissance personnelles ne sont que de séduisants leurres. Ce qui fera ta force, dans une lutte, c'est la collaboration et la coopération. Et, ceux qui font changer les choses, c'est ceux qui, convaincus de leurs valeurs et de leur pouvoir, voient au-delà de leur confort personnel. Ceux qui sont assez fous pour croire que les changements, même au sein des systèmes les plus établis, sont possibles. Ceux qui ont confiance en leurs capacités et parviennent à fédérer et mobiliser des camarades mais également ceux qui décident de les épauler. Il n'y a pas un héros capable de changer le monde, il y a une le pouvoir d'une ardeur fédératrice et mobilisatrice.
Après, à toi de voir la lutte que tu veux servir, le rôle que tu veux jouer et les valeurs que tu veux transmettre mais cesse de te poser des questions anxiogènes sur la marche à suivre, défends ce en quoi tu crois et n'attends pas qu'on te tire par le bras pour te positionner. Participe à créer le monde dans lequel tu veux vivre, celui qui verra tes joies, tes peines, que tu légueras aux générations suivantes parce qu'il n'est jamais trop tard.
Les luttes peuvent paraître sans fin mais c'est à toi seul.e de choisir ce que tu veux vivre.
Paloma.
C'est avec les crocs qu'ils marchent, fumée rouge dans leurs cœurs d'enfants. Ils ne sont grands que parce que nous sommes à genoux. Une étincelle brille, instinct de liberté et Marseille en feu. Les matraques s'élèvent, les poings levés hurlent au ciel. Les arracheurs de dents s'élancent, les cris s'étouffent. Munition et dérapage policier. Détresse et accumulation, les pavés en fleurs se fanent.
Triomphants, nous n'avons pas qu'une saison. Notre ciel sera beau, grand et assourdissant. Les langues se délient, l'heure est à la parole et à l'action. Assez du silence. C'est un droit de vouloir vivre décemment, pourquoi est-ce si compliqué ?
La foule en érection, crache et allume des cigarettes. On vit dans un monde qui déborde, de traitres qui se hissent et d'inégalités sociales qui s'élèvent. De mépris qui s'enfonce sur des vies entaillées, de tresses d'injustices coiffées sur les jeunes filles.
L'odeur de pisse, des fumigènes dans les ruelles et la rage de vivre dignement. Ils disent qu'il faut faire des efforts et s'en donner les moyens. Ils nous crachent à la gueule. N'oublions pas que nous naissons dans des contextes sociaux différents et que nous n'avons pas tous les mêmes chances.
De la première violence naît la deuxième. Laquelle est la plus violente ? La foule est en feu, ivre de vivre. Il n'y a de place ni pour le pardon ni pour l'oubli.
Lèvres gercées en ce mois de Janvier ; du haut des banlieues, le ciel s'effrite. Un monde qui devient élitiste et où les chances n'existent plus. Un monde de remparts et de barrages, Moyen-âge dans les veines de ces gens qui croient que la vie ça s'attrape et ça se garde à tout bout de champ.
La vie est ironique lorsque les gens dorment dans la rue. Ironique quand des jeunes travailleurs sont virés sans indemnités et sans protections sociales. Ironique quand un étudiant s'immole devant sa faculté parce qu'il ne peut plus rien payer. Et ces gens-là, ils veulent juste vivre dignement. Crions, élevons nos poings pour eux.
Tremblons pour chaque injustice commise, marchons ensemble et collectivement. Pour commencer, ouvrons les yeux. Regardons. Remettons en question les choses. Ils disent : « Les choses sont ce qu'elles sont ». C'est faux. Rien n'est fixe.
Nous sommes dans un monde inégalitaire mais pour commencer, pour commencer à agir, il faut regarder. Regarder avec les yeux et se rendre compte des choses. Se rendre compte que les luttes sont nécessaires pour protéger nos droits et que la colère qui s'élève de nos corps est légitime.
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Cendres de nénuphars
RandomNous sommes deux amies. Ninon et Paloma. Nous nous sommes rencontrées sur les bancs de la faculté, dans un immense amphithéâtre lors de notre premier cours d'anthropologie. Nous étions l'une en face de l'autre. Un sourire, quelques mots et comme une...