Chapitre 5. Le temps des maux

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"Mfout rayil! Mrayil! Mpa gen on san pou li."

"Jude surveille ton langage. Et ce n'est pas une façon de parler de ton père."

"Comment oses-tu le défendre alors qu'il t'a abandonnée ce matin sur le carrelage. Si je n'étais pas là tu serais encore sur ce sol froid à gémir. Au moins tu aurais regretté d'avoir épousé ce gigolo."

Le coup partit tout seul. Martine ne pouvait encore supporter le ton de son fils et sa litanie à propos de son père. Bien sûr, elle n'avait pas épousé l'homme parfait. Et ce n'était point l'amour qui avait motivé leurs vœux. Aujourd'hui elle n'éprouvait que de l'indifférence pour cet homme qui partageait sa couche. Mais elle avait un devoir en tant que femme et devait s'assurer que son époux soit respecté de tous et particulièrement de ses enfants. C'était la volonté du Seigneur.

Jude quant à lui n'arrivait pas à comprendre comment cette femme, sa mère qu'il affectionnait la plupart du temps, pouvait prendre partie pour le figurant qui lui servait de mari. Elle l'avait gifflé pour ce vaurien malgré tout l'effort que cela lui coûtait. Ce matin encore il illustrait son manque de compassion et de soucis pour sa femme. Se préparant pour se rendre à l'église, Martine avait fait une chute et souffrait à la cheville et au dos. Richard, plutôt que de s'occuper de sa femme et l'accompagner à l'hôpital était parti vaquer à ses affaires sans aucun remords. A peine s'était-il montré inquiet. Jude était là, il pouvait s'occuper de tout. "Quel piètre comédien" avait pensé ce dernier.

Depuis déjà quelques mois, la relation entre Jude et son père était très tendue. Il n'y avait que Martine pour calmer le jeu entre ces deux mâles dominants. Il le fallait pour sauver les apparences. Quelle image enverrait la famille à la société si cette discorde venait à s'ébruiter. Les "affaires" de Richard comme le disait toujours Jude s'en verraient affectées. Et s'il y a une chose dont ne pouvait souffrir la famille, c'est de la mauvaise presse. Les apparences étaient ce qui maintenaient leur entreprise à flot. Mais des fois, comme aujourd'hui, Jude avait envie de tout envoyer valser et de foutre son point dans la gueule d'hypocrite de son père.

Il respectait beaucoup sa mère mais à ce moment il ne se sentait pas la force de rester dans la même pièce qu'elle sans lui balancer au visage tout ce qu'il savait et tout ce qu'il avait sur le cœur. Selon le docteur, Martine avait besoin de se reposer et de ne faire aucun mouvement brusque. Elle n'avait plus besoin de lui, alors il préférait s'en aller.
Amélia n'avait pas cessé de l'appeler pendant son altercation avec sa mère. Il s'était dit qu'elle l'appelait à cause de son absence pour savoir s'il allait bien. C'était pas tout le temps une partie de plaisir d'avoir une petite amie plus âgée. Parfois elle avait tendance à trop le materner et pouvait être encombrante.

"Allo Mel! Comment tu vas?"

"Je vais bien merci. Et toi? Kòman madan pas ye? Li pa pran gwo chòk? Pastè a sot mande nou priye pou li."

"Pa enkyetew pou manmanm. Li anfòm. Mwen pap ka rete. Map relew pita."

"D'accord. Bisou chéri."

"Bisou."

Cet appel mettait Jude encore plus en rogne. Non content de faire le clown à chaque service, il se permettait d'utiliser l'accident de sa mère pour s'attirer la sympathie des gens. Il cadrait son père aisément parmi les rats d'égout qui s'attribuaient le titre de pasteur. Richard aura beau étudier la théologie et se conformer aux normes, son fils le prenait désormais pour un charlatan. Il est bien loin le temps où le fils vénérait le père.

Pendant qu'il prenait ses cliques et ses claques pour la suite de sa journée, il se rappelait comment il avait voulu ressembler à cet homme qu'il croyait parfait qui lui servait de père. Il avait toujours essayé d'être proche de lui, d'être aussi parfait que lui et même plus. À chacun de ses sermons, Jude avalait chaque mot que prononçait son père. Il ne voulait en rater aucun parce qu'il voulait être un fils modèle. Il devait prendre note pour plus tard quand il serait lui aussi devenu pasteur. Il aimait voir son père rempli d'énergie "divine" proclamer la bonne nouvelle, ramener les brebis égarés au Père, prêcher le respect des préceptes bibliques. Il se délectait de la révérence dont jouissait son père. Cela faisait sa fierté.

En grandissant, il avait compris que personne ne pouvait être parfait, même son père. Mais de là à atteindre ce niveau d'hypocrisie lui qui se permettait de juger les autres... non. Cela il ne pouvait l'endurer. Dire qu'il s'était rendu malade la première fois qu'il avait cédé à la tentation de la masturbation... Tout ça parce qu'il pensait avoir déshonoré son père. Que de stupidité lui passait par la tête à l'époque. Stupide, aveugle et naïf, voilà comment il avait grandi.

Aujourd'hui il avait compris. Il le supportait depuis déjà longtemps mais quand il avait surpris son père sur la page de FinDme tout avait dérapé. Richard s'était empressé de fermer la fenêtre. Mais Jude avait déjà tout saisi. Il n'était quand même pas né de la dernière pluie.

"La fidélité est un devoir inviolable qu'il disait.
Un époux doit respecter sa femme.
L'adultère est un péché grave.
Il faut protéger l'institution du mariage.
La famille est sacrée.
Les enfants sont des dons du ciel. Gyèt!"

A force de taper sur le béton il avait fini par se faire des bleus. Il ne s'était même pas rendu compte qu'il avait délaissé son bureau pour un combat avec le mur de sa chambre. Il fallait qu'il sorte rapidement de cette maison et qu'il aille décompresser. Il risquait de tout mettre en pièce sinon. Il ne pouvait pas compter sur Amélia pour l'aider. Elle était à l'église. Il ne lui restait pas beaucoup d'options. Dans son étui à lunettes il avait encore en réserve deux ou trois joints. Cela devait largement suffire à le détendre. Il n'en fumait pas souvent. Il était plus dans le contrôle. Mais parfois ces petits rouleaux étaient ses meilleurs amis. Une fois qu'il avait tout mis dans son sac, il se dirigea vers sa voiture. Il ne savait pas encore où il ferait son spot. Mais peu importe, ce n'était qu'un détail.
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Auteure: Ceriz9513
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Nouveaux personnages

Jude: fils d'un pasteur, amant d'Amélia.

Martine: mère de Jude

Richard: père de Jude, pasteur.

Déjà-vus

Amélia (Mel): grande sœur de Richardson, amante de Jude, fidèle à l'église de pasteur Richard.

FinDme voir chapitre 3

Anndan LakayWhere stories live. Discover now