Avatars

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Vous ne me croiriez pas si je vous racontais ce que je l'ai vu faire. Et c'est tant mieux, vu que c'est exactement ce qu'il cherche : brouiller les pistes, faire croire aux gens qu'ils ont rêvé, qu'ils ont mal vu... Forcément, puisque c'est impossible.

Ça marche un peu moins bien, maintenant, vu qu'ils sont plus nombreux et, surtout, plus médiatisés. Il finit toujours par y avoir quelqu'un qui pense « mutant ». Mais ça reste un mythe pour la plupart des gens. Et puis qu'est-ce qu'un surhomme viendrait foutre dans le Bronx ?

José est une espèce de grand échalas, un basketteur au regard brun et naïf, vaguement typé latino – avec sans doute une dose de sang Noir. Son short et son maillot, trop grands d'au moins deux tailles, font oublier la musculature notable qui se dissimule dessous. Pour tout le monde, il vit avec sa mémé, une vieille Hispanique de quatre-vingt-cinq ans, qui n'a plus toute sa tête – ni sa vue. Si elle se doute de quelque chose vis-à-vis de son « petit-fils », elle n'en fait part à personne.

Si je devais vous décrire Zach en deux mots, ça serait « surfer californien ». Cheveux blond pâle, peau couleur caramel, lunettes de soleil dernier cri, t-shirt moulant fluo... La comparaison s'arrête dès qu'on voit le fauteuil, bien sûr. Un modèle customisé, inspiré de ceux des athlètes handisport, à bord duquel il devient la terreur des trottoirs. Malheur à celui qui laissera traîner ses poubelles sur son chemin ! Son statut d'infirme est une barrière suffisante pour que les gens ne s'attardent pas sur sa taille, ni sur la masse inhabituelle de son « véhicule ».

Le pire de tous, c'est le Tas : un clochard tout tordu, voûté, qu'on imagine obèse sous sa couche de vêtements sales et informes. Je me demande toujours comment il arrive à supporter son odeur immonde de pisse et de mauvaise bière, lui dont le flair est meilleur que celui d'un chien policier. Quoique, je ne suis pas sûre que la réponse me plairait. Quand le Tas se met debout – rarement en public – la transformation de la pile de linge crasseuse en une silhouette de près de sept pieds de haut est une vision terrible, suffisamment pour faire fuir quiconque serait assez bête pour le prendre pour une cible facile. Je l'ai vu de mes yeux. Dommage pour ces connards, il court vite. Il était de bonne humeur, il leur a juste pété les deux bras.

Depuis la fin du siècle dernier, il ne se montre plus en plein jour sous son apparence normale. Sauf ici, et encore. « Il faut entretenir le mythe », paraît-il. Moi, je crois que ça a plus à voir avec l'avènement des « réseaux sociaux », comme on dit. Il n'aime pas qu'on le prenne en photo et, à notre époque, c'est dur d'y échapper. Il n'y a guère que le portrait de groupe, qu'on fait à chaque changement dans l'équipe, qui trouve grâce à ses yeux. Vous n'y avez sans doute pas fait attention : ils sont punaisés derrière le comptoir, un peu partout. De loin, on pourrait croire que c'est la même image tirée à des dizaines d'exemplaires, mais non.

La pose est identique sur chaque : la gérante au centre (d'abord Rose, puis moi, puis Zefira et moi, avant qu'elle ne me remplace), les filles autour (et les gars, maintenant, puisqu'on en a aussi), les videurs dans le fond, de chaque côté de la porte, et Joshua à droite, adossé à la devanture, les bras croisés. Il est toujours habillé pareil : cuir noir de la tête aux pieds, bottes, pantalon et veste sans manches. Sur quelqu'un d'autre, ça donnerait peut-être un certain genre, si vous voyez ce que je veux dire, mais lui, il porte ça comme une seconde peau. Ça fait partie du personnage, quoi. Ça fait plus de cinquante ans que je le connais, et je peux compter sur les doigts des deux mains les fois où je l'ai vu mettre autre chose. Il n'y a guère que sur les toutes premières photos, qu'il a l'air un peu plus jeune que maintenant. Depuis tout ce temps, il n'a pas pris une ride, le salaud. La seule chose qui change, chez lui, c'est la taille. Il a toujours été grand, mais au début, il passait encore sous la porte. On lui a proposé de faire des travaux, d'abaisser le plancher, d'élargir le chambranle... mais il refuse à chaque fois : il veut que le bar reste tel qu'il l'a connu le premier jour. C'est son problème, hein, tant que sa tête n'abîme pas les poutres...

Anecdotes du DarksideverseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant