Charmes, potions et malédictions - Bonus

Catacharmique - Trouvaille du grimoire de Helga Silverfang

     Je vais finir par me faire une belle brochette de yeux de lézard et la faire griller sur ce maudit poêle.

     Oui, c'est interdit mais là, je serai même prête à braquer une banque pour ne plus m'ennuyer.

     Je pousse un énième soupir et me tourne vers le crâne qui est la seule compagnie rationnelle sur laquelle je peux compter ici. Sinon, il y a bien la propriétaire de la boutique, une vieille sorcière alcoolique, mais elle ne passe pas une seule journée sans un seul gramme de liqueur, de rhum, de vodka ou de brûlard dans le sang. Du coup, je préfère ne pas lui donner toute ma confiance.

   - Hé, Jack, tu crois que je vais encore tenir ? Il reste deux jours et toujours pas d'autre client à l'horizon.

     Sauf que, bien sûr, la tête d'os ne me répond pas et se contente de rester tout aussi immobile que depuis que je suis arrivée. Je soupire une nouvelle fois avant de quitter la caisse et de repartir à la chasse au trésor. Vu le peu de personnes qui passent acheter quelque chose ici, je crois que j'ai tout mon temps pour en profiter.

     Je jette un nouveau coup d'œil à ce drôle de bric-à-brac. Il est sombre, poussiéreux, sent toujours l'encens et le vieux, a une peinture bleu nuit sacrément défraîchie et contient un nombre incroyable de bibelots entre ses quatre murs. Il y a de tout : des Crist à prix cassés, des sortilèges, des jouets pour dragons, des baguettes pour enfants, des salamandres tachetées, des bonbons aux formes et noms étranges, des recueils de charmes en tous genres, des miroirs géants, même des figurines miniatures représentant des créatures des abysses.

     Je reprends mon inspection, carnet et sorts de lévitation en main. Croyez-moi : dès que je finis mon stage ici, je transmets la liste de tout ce que j'ai vu d'interdit à la PCF. Par exemple, des œufs de Grand Cornu alors que tout le bâtiment est inflammable. Des grimoires de magie noire fait avec de la peau humaine - interdiction d'en fabriquer et tous ceux trouvés doivent être brûlés. Des fées et esprits en bouteille - esclavagisme pur et dur. Et vous ai-je parlé des quantités improbables de drogues, disséminées dans tout le magasin ?

     Inconcevable !!

     Du coup, j'ai déclaré la guerre à tout ce petit monde, surtout que j'ai encore une belle dent contre le mensonge qui m'a été servi. Je veux dire, quand on me promet une "expérience valorisante dans un endroit bien placé et dynamique", j'ai toutes les raisons de faire la grimace, non ? Pour une fois, j'aurais dû écouter Dahlia. Elle qui me répétait sans cesse que c'était une mauvaise idée, qu'elle n'avait jamais entendu de tels louanges sur cette boutique...

     Eh bien, pour une fois, j'ai décidé de faire confiance à mes professeurs et non à ma famille. Ça m'apprendra à ne pas écouter les bonnes personnes.

     Sur l'étagère du fond, j'inspecte délicatement quelque chose qui est entouré de bandes noircies. On dirait... un truc momifié. Et non, je ne vais pas ouvrir pour essayer de déterminer de quoi il s'agit. Dans tous les cas, c'est illégal. Enfin, je crois.

     Alors que je note tout sans oublier le moindre détail, un autre objet attire mon regard. On dirait un vieux tome de magie, pas encore décoré avec l'encre changeante - ce qui permet de transformer les mots en images pour les dyslexiques. Et il sent... la brioche ?

     Cette fois, tout mon intérêt est piqué et j'extrais délicatement le livre de la montagne de bibelots sous laquelle il attend depuis sûrement des années. Et je détecte alors des arômes de caramel, de crème anglaise et de pain d'épices, incrustés profondément dans la couverture. Le paradis sur terre.

     J'essaye de déchiffrer l'écriture de la première page, à moitié effacée par le temps. "Helga Silv....fa....".

     ... Silverfang ?!! La seule et unique sorcière qui a révolutionné à tel point l'univers de la cuisine et pâtisserie charmique que les meilleurs chefs du monde ont fait une syncope quand elle est morte sans révéler tous ses secrets ?!!! Bon Dieu, retenez-moi, je vais faire une syncope !!

     Délicatement, je soulève les premières pages, admirant l'écriture tout en arabesques et affreusement propre. Des dessins à l'encre noire s'étalent sur le côté, représentant des desserts que j'ai du mal à imaginer. De la préférée ? Des perles de Taj Mahal ? Des pétillants à la digitale ? Je prends tout !!! Tout, tout, tout !!!

     À cet instant-là, j'entends le crâne de chat - bien plus bavard que celui sur le comptoir - chantonner d'un air heureux :

   - Enfin !! Enfin !! Le précieux a été trouvé !! Tu es le héros, l'élu...

   - Casp, comment as-tu pu ne pas me dire qu'il y avait un tel trésor ici ?!! Tu as intérêt à avoir une bonne raison, sinon, je supprime ton sort de paroles !!

     Je crois qu'il se met à marmonner à voix basse, avant de reprendre plus fort :

   - Hé, je ne connais pas tous tes loisirs, Miss Tout-est-de-la-faute-des-autres !!! Et je te rappelle que tu n'as pas le droit de ramener des objets magiques chez toi !!

   - Et si je le fais ?

     Un silence accueille ma question. Je peux presque entendre les rouages dans son cerveau tourner à plein régime. J'attends tranquillement, espérant savoir de quel côté il va se placer. Je pourrais encore faire un peu de chantage, s'il décide de me dénoncer.

   - Ne prends pas le livre entier. La vieille a posé un sort d'alerte sur la couverture et, s'il sort sans autorisation de la boutique, la PCF va te tomber dessus. Déchires-en des pages. Et dépêche, elle revient d'ici dix minutes, même moins ! Le reste, tu le récupéreras demain !

     Un grand sourire fleurit sur mon visage pendant que je lui murmure un "Merci". Et, pendant qu'il monte la garde, je me mets au travail. Je commence à arracher les feuilles, veillant à ne pas entamer les écritures dessus.

     Tu déchires un chef-d'œuvre, Eden. J'espère que tu en as conscience.

     Essayant de ne pas trop m'appesantir sur cette pensée traître, je continue cette tâche ingrate. J'en suis à la vingt-et-unième recette sauvée quand Casp se met à claquer furieusement de la mâchoire. Et à plusieurs reprises, en plus.

   - Attention, elle est là !! Cache tout !!

     Sans attendre plus d'explications, je lui obéis instantanément et range le livre là où il était, tout en me précipitant vers mon sac pour y dissimuler le reste. Juste à temps.

   - Eden, tu es encore là ? demande la femme d'une voix traînante. On va bientôt fermer, tu ferais mieux de rentrer.

     J'acquiesce sans discuter, préférant éviter une de ses crises de colère, et sors avec calme de l'endroit.

     Après tout, s'il est resté aussi longtemps ici, il y sera encore demain, non ?