Catacharmique - J'ai un petit air de Thwomp

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   - Suivante !!

     La grande brune relève le visage dans la salle d'attente, un sourire poli aux lèvres. Mais, comme tous les autres, je peux voir plus loin que son masque. Et, plus précisément, je peux entendre ce que son moi profond est en train de débiter à l'heure actuelle.

     La vache, il est plutôt sexy, celui-là !! Bon, les armoires à glace, ce n'est pas trop pour moi ; mais là, je ne dirais pas non !!

     La petite voix dans ma tête soupire profondément, comme toutes les fois où elle se retrouve confrontée à des imbéciles pareils. Je veux dire, comment a-t-on pu élever la génération actuelle ? Ils vous rencontrent à peine qu'ils évaluent déjà si vous êtes à leur goût et non pas si vous êtes amical ou si l'entretien sera compliqué.

     Sans un mot, je me contente de lui indiquer mon bureau. Et, dans le but de me charmer un peu plus, elle se lève doucement, faisant ressortir son fessier dans sa jupe blanche.

     Bon sang, j'aurais dû rester chez moi aujourd'hui.

     Au moins, la précédente était drôle. Un air d'oisillon tombé du nid - à moins que ça ne soit ses cheveux qui lui donnent cet effet-là -, et un véritable moulin à paroles, même quand elle n'ouvre pas la bouche. Son flux de pensées est tout simplement ahurissant, comme si elle cherchait à m'inonder avec.

     Dommage que beaucoup de ses expériences se soient soldées par un échec et qu'elle soit "un aimant à emmerdes" selon ses dires. Sans ça, je l'aurais recruté sans hésiter.

     Espérons qu'elle puisse trouver un travail dans le futur.

     Devant moi, la jeune femme s'arrête quelques secondes, pose sa main sur mon torse puis rentre dans la pièce en bois clair. Très bien, première raison pour laquelle je ne la recruterai pas : elle vient de me lancer un envoûtement. Pour qu'elle puisse me mener par le bout du nez.

     Elle a sérieusement besoin d'un bon psychologue et d'une sévère humiliation. Non pas que je suis pour le fait de me montrer méchant, mais il y a une limite à l'idiotie, tout de même !!

     Soupirant une nouvelle fois, je retire les résidus charmiques qu'elle a posé sur ma peau et fait signe à Si'gul de s'approcher. L'homme immense, qui me dépasse au moins de deux bonnes têtes et dont le cuir épais a la couleur de la pierre, s'exécute sans un mot.

   - Dites-moi, qui a choisi les candidats pour le poste ?

   - Élisa, Monsieur, grogne le métamorphe d'une voix puissante et si rauque qu'elle en paraît cassée.

     Encore elle... J'aurais dû m'en douter.

   - Dites-lui que j'aurais une petite discussion avec elle dans mon bureau demain, à neuf heures. Et qu'elle en profite pour me faire la liste des arguments sur comment elle choisit les candidats pour les entretiens.

     Parce qu'entre les profils aux antipodes de ce que l'on recherche, les bras cassés qui ne cessent de poser leurs conditions et les erreurs de planning sur les entretiens, elle commence à accumuler les gaffes.

     Finalement, cette Eden Santerre avait l'air plutôt pas mal. Oui, elle s'est décrite comme un aimant à emmerdes, mais elle n'était pas aussi compliquée que les autres que j'ai vu jusqu'à présent.

     Pour toute réponse, le crocodile sourit de toutes ses dents, ce qui lui donne un air de chat prêt à dévorer une souris.

   - Aye, Monsieur. Souhaitez-vous quelque chose d'autre ?

   - De quoi porter plainte contre une manipulation de l'esprit. Et un café bien corsé, je sens que le reste de la journée promet d'être mouvementé.

     Ses pensées sont claires comme de l'eau de roche, chantant un refrain qui ne me hérisse pas autant que certains.

     Monsieur doit passer une journée épouvantable aujourd'hui. Peut-être devrais-je glisser quelques gouttes de whisky dans sa tasse. J'ai entendu dire qu'il y en avait du très bon caché dans les placards de la réserve...

     A mon tour, je laisse mon visage se détendre et lui glisse d'un air amusé :

   - Je vous remercie pour votre idée, mais je doute que ce soit le meilleur moment pour en profiter. Gardez-la encore un peu au frais, elle aura sûrement une meilleure utilisation dans les prochains jours.

     Au lieu de paraître étonné, comme tout le monde lorsque je leur réponds comme s'ils avaient parlé à voix haute, il se contente de hocher d'un air satisfait de la tête.

   - Je n'en attendais pas moins de vous, Monsieur. Je vous souhaite bon courage pour le reste de la journée.

     Et, juste comme ça, il me laisse avec cette... Désolé, je ne continuerai pas ma phrase, ce n'est pas assez poli.

     Après avoir poussé un long soupir, je rentre dans mon bureau... pour découvrir qu'elle a ouvert son chemiser. Et relevé sa jupe. Et s'est remaquillée aussi.

     Bon sang, un peu plus et je fuis à toute vitesse.

     Toussant pour cacher mon embarras et mon irritation grandissants, je jette un coup d'œil sur son CV posé bien en évidence sur sa table. Sa photo se trouve en plein milieu, avec tout autour ses expériences et ses compétences professionnelles. L'idée aurait pu être intéressante... mais je ressens malgré tout un tel narcissisme que je n'en suis que plus dégoûté.

     Prenant soin de m'approcher le moins d'elle pour m'asseoir sur mon siège, je lui adresse le regard le plus neutre que je puisse afficher. Tant pis pour elle, elle a tué toutes ses chances de pouvoir avoir le job.

   - Mademoiselle, je m'excuse d'avoir à vous dire ça à peine entrée, mais... je pense que je vais devoir écourter votre entretien. Je vais vous laisser sortir, si vous le voulez bien...

   - Oh, vous pouvez me le dire tout de suite !! s'exclame-t-elle d'un ton tellement suffisant que je ne souhaite que réduire tous ses espoirs en charpie. Je suis prise, c'est ça ?! Si vous voulez, nous pouvons aussi passer un petit moment rien que tous les deux, pour apprendre à mieux se connaître...

     Mon sang doit littéralement bouillir dans mes veines. Heureusement, j'entends les pensées de quelqu'un de beaucoup plus calme et sensé. Quelqu'un venu m'aider.

     En un instant, Si'gul fait irruption dans la pièce, sans toquer. Il lui suffit d'un seul regard pour comprendre la situation. Alors, après avoir rapidement déposé mon café et le papier sur mon bureau, il attrape sans hésitation la jeune femme et la fait basculer sur son épaule. Elle n'a même pas le temps de protester qu'il la jette sans aucune douceur dans le couloir.

   - Qu... ?!!

   - Mademoiselle, je vais vous demander de repartir tout de suite chez vous, grogne le chef de la sécurité d'un air plus menaçant que jamais. Nous allons déjà porter plainte contre une manipulation de l'esprit, sachez que nous ne souhaitons pas alourdir les peines contre vous. Si vous décidez toutefois de porter préjudice à notre entreprise ou à un de nos employés, soyez assurée que je ferai de mon devoir de vous traquer et de vous faire comprendre qu'une fille pourrie gâtée comme vous ne me fait absolument pas peur.

     Et il referme violemment la porte, coupant court à toutes plaintes. Ma journée vient de s'améliorer un peu, même si je ne peux pas m'empêcher de lâcher :

   - Ce n'était pas une attitude très professionnelle.

   - Certains ont besoin d'être menacés pour se tenir à carreau.

     Je laisse échapper un maigre sourire, pensant que peut-être, peut-être, ce n'était pas une si mauvaise idée, l'élevage de salamandre tigrée dans la campagne profonde.

     Loin de tous ces imbéciles de candidats.

Charmes, potions et malédictions - BonusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant