Chapitre 14

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— Bonjour. J'ignorais que vous vous intéressiez à l'art abstrait, lança Caren.

— Mon Dieu, non. Je fais du shopping. J'ai l'habitude d'acheter des vêtements dans une boutique tout près d'ici. Et vous, vous vous promeniez?

Quelque chose dans le ton de la question lui fit redouter que Sylvana l'ait aperçue en compagnie de Fabrice.

— Non, je sors de mon cours de dessin.

Sourire condescendant de Sylvana.

— Ah! C'est vrai! Vos cours d'art... Remarquez, si ça vous amuse. Il vous faudra bien une occupation quand Lucas divorcera.

Caren eut l'impression que le sol se dérobait sous elle, mais elle fit l'impossible pour masquer son désarroi.

— Lucas aurait donc l'intention de divorcer? Il ne m'en a pas informée. 

—Quoi? Vous ignorez que le baron de Champvallier a eu une attaque et qu'il est gravement malade? Ses médecins ne lui donnent pas huit jours à vivre. Sylvana marqua une pause avant d'enchaîner :

— Mais peut-être Lucas vous a-t-il caché la chose par compassion. Bien entendu, quand ce pauvre baron mourra et qu'il aura la voie libre... Tout le monde se demande combien de temps Marie-Laure s'amusera à jouer la veuve éplorée.

Elle eut un petit rire.

— Tel que je le connais, Lucas doit être furieux. Avoir pris la peine de vous épouser, vous, et finalement pour rien. En patientant quelques semaines de plus, il s'évitait les désagréments d'un divorce. Enfin... dans la famille, on trouve cette situation fort amusante.

— Je n'en doute pas, répondit Caren, submergée de dégoût. J'en conclus que si moi aussi j'avais une attaque et que je disparaissais de la scène, cela résoudrait bien des problèmes.

Nouveau petit rire précieux de Sylvana.

— A mon avis, Lucas n'en demanderait pas tant. Contentez vous d'accepter le divorce et il devrait savoir se montrer reconnaissant.

— Dans ce cas, pourquoi me tracasser? répliqua Caren avec un haussement d'épaules désinvolte. Je vous souhaite de bons achats, Sylvana, mais si je puis me permettre un conseil...

Elle jeta un coup d'œil critique à la silhouette enrobée de la jeune femme.

— ...à l'avenir, changez de boutique. Ou commencez un régime. Là-dessus, Caren tourna les talons et disparut au coin de la rue avant que Sylvana, écumant de rage, ait trouvé une réplique à la mesure de son indignation.

Pourtant, dès qu'elle se sut hors de sa vue, Caren dut s'arrêter et s'appuyer contre un mur pour mieux maîtriser son émotion. Une tempête où se mêlaient la colère, le chagrin et le désespoir.

Fallait-il croire Sylvana? Lucas comptait-il vraiment la congédier moyennant une généreuse contrepartie financière? Rétrospectivement, elle s'aperçut qu'en effet, Lucas semblait encore plus distrait depuis quelque temps... Avec quelle impatience il devait attendre le décès du mari. Pauvre baron, pensa Caren avec un frisson de dégoût. Lui au moins ignorait ces sordides projets. Personne ne l'avait arrêté dans la rue pour l'informer qu'il était indésirable et que le Tout-Paris spéculait sur sa succession.

— Madame? Vous êtes malade?

Caren n'avait pas vu Marcel approcher. Il se tenait devant elle, chapeau bas, l'air très inquiet. Il ne servait à rien de l'abuser par un quelconque mensonge alors qu'elle tremblait de tous ses membres et devait être pâle comme un linge.

— J'ai eu un petit malaise, rien de grave.

Plein de sollicitude, il l'aida à s'installer dans la voiture et durant le trajet s'assura de son état par de fréquents coups d'œil dans le rétroviseur. Sans doute utilisa-t-il le téléphone de bord pendant qu'elle montait à l'appartement car Mme Gérard l'attendait,en proie à une évidente agitation.  Sans trop savoir comment, Caren se retrouva allongée sur son lit, sans chaussures, un linge imbibé d'eau de Cologne sur le front, et une tisane sur sa table de chevet. De quoi se composait le breuvage? La jeune femme l'ignorait. Toujours est-il qu'elle ne tarda pas à glisser dans le sommeil. Un sommeil léger, entrecoupé de rêves. Dans l'un d'eux, Caren se vit, courant éperdument vers l'autel d'une gigantesque cathédrale où l'attendait Lucas, la main tendue. Arrivée à sa hauteur... cruelle déception.Son sourire n'était pas pour elle mais pour une blonde qui se jetait à son cou...

Dans un cri de désespoir, elle prononça son nom et l'entendit lui répondre. Ses paupières se soulevèrent avec peine: Lucas était là, penché sur elle.

— Que se passe-t-il ? Il paraît que Marcel t'a trouvée malade en pleine rue?

— Non, c'était juste un malaise passager. Rien de grave.

— En es-tu sûre?

Lucas s'assit au bord du lit et la fixa attentivement, sourcils froncés.

— Dis-moi, Caren, se pourrait-il que tu sois enceinte?

La question la désarçonna.

— Non...bien sûr que non.

Le soulagement de Lucas était si flagrant qu'il n'aurait pu échapper à Caren. Et elle, petite naïve, qui l'avait cru inquiet de la voir souffrante... Quelle sotte! Lucas n'avait aucune raison de désirer cette grossesse ! On se débarrassait moins aisément d'une femme enceinte. Et s'il devait avoir un enfant, il le voudrait de la femme qu'il aimait, c'était une évidence.

— Dieu merci, il n'y a aucun risque, renchérit Caren dans son dépit.

— Tu es bien placée pour le savoir.

Détournant la tête, il ajouta après un silence :

— Je te laisse te reposer, Caren, mais il va falloir que nous parlions tous les deux. Sans tarder.

Le cœur de la jeune femme se mit à battre plus vite.

— Tu sais, ce n'est pas nécessaire...

— Je regrette. A mon avis, c'est plus que nécessaire, c'est indispensable.

Là-dessus, il quitta la chambre, non sans lui avoir effleuré la main d'un baiser. Que  d'effort il en coûta à Caren pour refouler les larmes qui lui brûlaient les paupières! Elle savait trop bien de quoi Lucas souhaitait l'entretenir. Qu'il ne se tracasse pas. Elle le lui accorderait,son divorce, et sans rien demander en échange, hormis l'assurance que le traitement de Gary serait poursuivi aussi longtemps que nécessaire.

Sa liberté, voilà tout ce à quoi elle aspirait désormais. Très vite cependant, alors que le crépuscule tombait, Caren prit conscience combien ce vœu était irréaliste. Devoir se séparer de Lucas serait un tel déchirement, une telle souffrance, qu'ellene serait plus jamais libre...

Un odieux marché (Noces sous contrat)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant