Anamorphose

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Je suis le coeur de John.

Je suis le coeur de John, et le coeur de John bat vite. Trop vite. Il aime trop, il aime peu. Il aime un peu trop. Le coeur de John est brisé. Je suis John, mais je m'appelle Christopher.

Quand on a 16 ans, on aime un peu trop fort, un peu trop vite, un peu trop vif. Un peu trop. C'est comme ça qu'on aime - un peu trop. Un peu trop tout. Un peu trop pas assez, aussi. Pas assez d'effort, pas assez d'amour. Un peu trop. Pas assez de jugeote, un peu trop d'orgueil, et on finit avec le cœur brisé en milles morceaux.

Je suis le coeur de John. Non, je suis le coeur de Christopher. D'ailleurs, je suis Christopher. J'ai 26 ans, encore un peu trop près de mes 16 ans, pas encore assez éloigné. Et mon cœur est encore un peu trop brisé, pas assez réparé. Et peut-être que je l'aime encore un peu trop, que je ne le hais pas assez. Ou plutôt, que je ne l'ai pas assez haï.

Quand on a 16 ans, on est un peu trop heureux, parfois plutôt triste, mais souvent un peu trop heureux. Surtout quand on aime un peu trop, un peu moins quand on n'aime pas assez. Quand on a 16 ans, on considère le bonheur comme éternel. Or, le bonheur n'est pas assez éternel. Un peu trop éphémère.

Je suis le coeur de John. Le coeur brisé de John. Je suis John. Je m'appelle Christopher.

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C'était comme un tableau.

C'était comme un tableau, rempli de milles et une couleurs qui se fondent et s'assemblent et créent une atmosphère unique, chaleureuse. C'était comme un tableau, où rires et cris de joies se mêlent en parfaite harmonie. C'était comme un tableau, un peu trop coloré, pas assez vivant, mais suffisamment beau pour être hypnotisé.

Les vagues étaient calmes et la plage trop bruyante. Trop calme, trop bruyante. Mais c'était beau, comme dans un tableau. Il aurait aimé être le personnage immobile dans un tableau. Celui qui regarde le ciel d'un air rêveur, ou celui qui contemple la mer et s'y reflète. Même si il serait plutôt ce petit personnage caché que personne ne voit, celui qui se fond dans la masse mais connaît le monde entier. Celui dont le secret encore caché est pourtant la clé du tableau, nécessaire pour le vivre. Il serait ce petit personnage, trop petit pour être perçu, celui qui semble beaucoup trop insignifiant, celui qui ne mérite pas d'attention. Celui sans qui, pourtant, il n'y aurait jamais eu ce tableau.

Christopher a toujours vécu caché dans l'ombre. Comme ce personnage de tableau, personne ne le voit, mais il voit tout le monde. Il rêve à être le personnage principal d'un tableau, celui sur lequel tous les regards se braquent, même si souvent il s'avère superficiel. Pas assez profond, avec seulement la beauté arrogante qui se dégage. Profondément ancré dans son esprit, bien caché au fond de son cœur, il espère un jour être le héros d'un tableau, d'être vu comme quelqu'un de fort, quelqu'un de beau. Quelqu'un. Avec une conscience, quelqu'un qui aime et qui est aimé. Il veut devenir muse, inspirer des peintures. Des tableaux doux, des tableaux innocents. Des tableaux amoureux, principalement.

Mais pour l'instant, il demeure ce personnage caché, bien trop caché. Il observe de loin les figures qui jouent et qui se transforment et qui se fondent l'une dans l'autre, au milieu des couleurs qui dansent ensemble.

Il vit dans son propre tableau. Un tableau en noir et blanc, sûrement. Un tableau triste, beaucoup trop morose, pas assez coloré.

Une nature morte.

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Août 1994,
Sydney, Australie.

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