I - L'Ange Déchu : Cæsar. Je ne requiers pas ton pardon.

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À toi la première femme de ma vie,

Je tiens à t'annoncer que cette trente-troisième lettre ne comportera pas la moindre excuse. Alors je te laisse le soin de la déchirer maintenant, si je suis définitivement devenu un répugnant fragment de ta vie que tu t'es résolue à oublier.

Dans le cas contraire, poursuit ta lecture en prenant bien soin de t'allumer une cigarette. Un join de préférence, car ce que tu vas découvrir  risque de te retourner les entrailles, et au pire te faire vaciller. Je n'attends pas une réponse de ta part ; cette lettre est la dernière que je t'envoie.

Je n'ai jamais été le fils que tu espérais que je sois et malheureusement je ne le serai jamais. Oui, je suis un meurtrier, un criminel, un assassin, un tueur. Je suis la meilleure version de moi-même que tu as été capable de concevoir et je suis assez fier du résultat. Je suis foutrement reconnaissant envers la providence de m'avoir fasciné aussi diamétralement opposé à toi. J'implose presque d'extase maman, tu n'imagines pas à quel point.

Je ne te blâmerai pas d'être une mère ignoble et perfide. Ta misérable conscience doit le faire de manière automatique, à chaque fois que tes pensées divaguent accidentellement jusqu'à moi, ton fils indolent.
Je t'écris aussi pour te rappeler que j'ai choisi de péricliter, de chuter du piédestal en apparence inaccessible sur lequel tu m'a posé contre mon gré.

Oui, j'ai choisi le crime, envers et contre tout.

J'ai tracé d'une encre indelible ma voie jusqu'au chemin glorieux de ma déperdition. Tu dois sûrement t'interroger sur la véritable nature de cette mascarade, la véritable raison qui m'a poussé à tuer l'homme de ta vie, l'essence même de cette haine ardemment dévoilée et je peux comprendre.

Ton esprit puéril et obscurcit par des sentiments volatils t'empêche d'apprécier la réalité telle qu'elle est. Tu t'es inconsciemment emprisonnée dans une illusion, une réalité superfétatoire, une lente et désolante vicissitude.

Contrairement à moi, tu es devenue la pire version de toi-même. La femme incroyable qui m'a élevé a été remplacée par une inconnue aux mœurs perverties par un homme manipulateur.
Alors une fois de plus oui, je ne regrette absolument pas mon acte et je m'octroie la liberté de le clamer, l'écrire le plus lisiblement possible sur cette feuille dégarnie : j'ai tué de sang froid ton mari.

J'aurais même souhaité pouvoir le tuer une seconde fois, puis une troisième, toujours et incessamment, comme emprisonné dans une boucle infinie. Heureusement qu'il me reste encore ma mémoire, pour me rappeler de cette scène glaçante à souhait. Je me rappelle de son visage agonisant, de son atonie, de son corps qui se raidissait près de moi le 14 Octobre 2017, dans sa résidence secondaire dans le sud de San Francisco.

Je me souviens très nettement du rictus machiavélique qui étirait mes lèvres sèches, et des tremblements qui secouaient mon corps dont la musculature était à peine visible. Je me souviens encore de l'expression horrifiée peinte sur ton visage parfait, lorsque les forces de maintien de l'ordre m'embarquaient dans ce véhicule de police.

Je me rappelle encore de tes yeux rougis par les larmes, m'observant de l'autre côté de la salle d'audience, alors que le juge de haute instance me condamnait à 30 ans d'emprisonnement ferme. Mais je me souviens surtout de cet éclat étrange qui illuminait tes yeux marrons lorsque que les policiers me conduisaient jusqu'à mon fourgon de futur détenu.

Tu avais beau être le procureur le plus redoutable de tout l'état, tu n'en demeurais pas moins une femme et pire encore, une mère. Assister au procès de ton fils unique à peine majeur t'avais chamboulé bien plus que tu souhaitais, bien plus que ce que tu souhaitais retransmettre au reste du monde.

Après tout, tu restais ma mère, et moi ton fils, en dépit du fait que j'ai poignardé ton mari vingt-quatre fois d'affilée après l'avoir drogué avec quatre grammes d'extasy.

Après tout, ni toi ni moi ne pouvions changer ça.

Mais en quittant la salle d'audience ce jour, ce que je vis dans tes yeux suffît à me submerger de bonheur. J'étais heureux et profondément satisfait du résultat final : tes belles pupilles marronnes scintillaient de haine. Ce sentiment qui t'allait si bien avait retrouvé sa place dans ta vie, précisément où il devait être. Tu me trucidais et me maudissais probablement à cet instant mais j'étais fier, car j'avais accompli mon ultime mission.

J'avais révélé la meilleure version de toi-même.

Paradigme Cæsarien : Épistèmê final Où les histoires vivent. Découvrez maintenant