III - L'Ultime Pécheur : Aux portes de la Fin. Interlude entre deux infinités.

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À toi, Fin de toute chose,

J'ai longtemps redouté cet instant pour finalement l'accepter aujourd'hui. Après avoir commis tous ces crimes, j'ai fini par comprendre que tu es mon ultime exutoire. L'achèvement de l'entreprise ratée que je suis.

Tu es la Fin.

Ce qui a fait de moi un homme, ce qui fera de moi ténèbres. Tu es l'aboutissement de toute chose en ce monde, l'intarissable bourreau des Hommes, le sens réel de la création.

Tu es la Fin.

Viens ainsi ma Fin.

Oh douce et tendre Mort, je te réclame enfin auprès de moi. Après dix-huit années à m'interroger sur le pourquoi, j'en suis désormais au quand. Quand est-ce que tu te décideras à m'arracher à cette atonie ? Quand est-ce que sonnera mon heure ? Quand est-ce que tout s'arrêta-t-il ?

Ne t'es-tu pas encore repue de ces cascades d'erreurs et de malheurs ? À quel point es-tu insatiable ? N'ai-je pas déjà révélé les plus obscures facettes de mon être ? N'ai-je pas déjà révélé la meilleure version de moi-même ? Que te faut-il comme preuve supplémentaire ? Que dois-je faire pour que tu me soustraies enfin à cette peine ?

Oh, âpre et sévère Mort, tu sais te faire désirer. Tu sais faire languir les cœurs les plus meurtris, tu sais pousser les Hommes dans leurs plus insoupçonnés retranchements. Tu es la Fin après tout, la conclusion de toute forme d'existence. Un univers de mystères que l'humanité tente incessamment de percer.

Contrairement à ton homologue Vie, tu ne laisses pas suite derrière toi. Tu n'offres pas d'éventuelles explications, tu ne donnes pas d'aperçu. Tu te contentes de tout stopper, tendrement comme brusquement. Rien ne t'échappe, tu t'en vantes. Je le sais, car je suis comme toi, un peu. Je ne laisse pas de suite, je prends sans jamais donner quoique ce soit de positif en retour.

Je sème la désolation et inspire la crainte. Mais contrairement à toi, je ne suis pas inévitable. La preuve en est que tu m'appelles enfin.

Oh Mort, tu es inéluctablement le plus illustre de tous les phénomènes de ce monde. Tu prends sans crier garde, tu détruis, sans avoir à fournir trop d'efforts. Comment résister à ton charme céleste ? Comment se dérober face à ta complexité qui fais de toi, la chose la plus fascinante de ce monde ? Comment ne pourrais-tu pas m'hypnotiser ? Comment ne pourrais-je pas succomber ?

Je te sens à présent, plus que jamais. Je perçois très nettement tes fragrances à la fois sucrée et acide. Ta silhouette nébuleuse se dessine plus clairement dans mon esprit.

Venue est mon heure. L'heure de la Fin.

Ma salvation.

Maintenant embrasse-moi, étreins-moi avec fougue. Emporte-moi dans les abysses de l'enfer. Caresse-moi avec le tranchant de ta faux, arrache-moi à cet univers immonde. Pour moi, tu vaincs incontestablement la Vie : tu annihiles tout espoir.

Aux portes de la Fin, je viens à toi, au bord du gouffre j'inhale une ultime fois une bouffée d'oxygène. Le bip régulier de mon électrocardiogramme a été troqué par un son interminable et strident. Les infirmières autour de moi ne cessent de s'agiter. Le médecin au-dessus de mon corps tente conserver son calme, tandis qu'une infirmière lui passe le défibrillateur, de ses mains crispées. Il frotte les deux parois métalliques l'une contre l'autre, avant de laisser la décharge se répandre dans mon corps, en partant du point de contact.

Ma tendre Mort, je te vois, mieux que jamais.

La secousse est imperceptible, je ne sens plus rien. Mon regard est sans doute vitreux et mon teint cadavérique. Ma peau noire a du perdre la totalité de son éclat.

C'est aussi ce que tu me fais, Mort. Tu me dépouilles de mon charme naturel.

Mon âme quitte définitivement mon corps, je plonge solennellement dans tes bras squelettiques et épineux. J'aurais aimé embrasser Janissa une dernière fois avant de te rejoindre. Mais tu es impitoyable, tu ne sais pas faire de concessions, surtout pas avec tes délais.

J'aurais aimé revoir le visage oblong de ma mère avant de m'éteindre, juste pour lui rappeler à quel point j'aime la femme qu'elle est devenue après mon incarcération. Pour l'étreindre une fois encore, savourer son parfum avant la Fin.

J'aurais tout donné pour apercevoir les deux créatures les plus importantes de ma vie, avant la dernière pulsation de mon cœur. J'aurais aimé que cet arrêt vasculaire cardiaque ne survienne pas aussi vite.

J'emporte avec moi ce bagage de regrets, le cœur paradoxalement léger. Léger de te rencontrer, accablé de les abandonner.

Mais pourquoi regretter ? Ceci est le grand mystère de la Vie, ta sœur ennemie.

Pourquoi s'interroger plus longtemps ? Car après tout, la Vie n'est qu'un interlude entre deux Infinités.

Paradigme Cæsarien : Épistèmê final Où les histoires vivent. Découvrez maintenant