[Prologue] Ceux qu'il faut détruire

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Le jeune homme lâche sa coupe de vin. Elle tombe dans un bruit cinglant, et roule quelques mètres, laissant le liquide ambré se répandre dans une trainée sombre sur le parquet de bois noir.  

"Je ne me sens pas très bien. Quelque chose ne va pas."

Sa voix est rauque. Il s'accorche à la table, les jointures blanches. La femme rousse à ses côtés pose sa main sur son épaule.

"Je peux te raccompagner à ta chambre ? Pour que tu t'allonges."

Il acquiesce, vacillant, le regard flou. Elle l'aide à se lever, passe un bras à sa taille, et le conduit lentement à l'escalier montant aux chambres. L'atmosphère de l'auberge est saturée de fumée, de rires et d'odeurs grasses. Ce soir est un soir de fête, et personne ne fait vraiment attention à eux. Le coeur battant, la femme prie pour que le poison ne fasse pas effet trop vite. Et pour que ne soient pas remarqués les yeux couleur or soutenu de son compagnon.

"Un problème madame ?"

Tendue, la femme tourne la tête. Une serveuse, les sourcils froncés, semble s'inquiète de la mine pâle et des yeux fermés du jeune homme.

"Rien de grave, mon ami a un peu trop bu. Il va se reposer là-haut."

La serveuse sourit vaguement, et s'en va, distraite par les nombreuses sollicitations des clients. La rousse continue d'avancer, et atteint les escaliers qu'elle monte avec peine. Il faudra fuir rapidement et loin, la gamine se souviendra de moi. Le désavantage de cheveux rouges au milieu d'un peuple à la chevelure sombre.

Elle ouvre la porte de leur chambre, et lâche le corps déjà brûlant du jeune homme. Il s'écrase sur le lit. Sans lui prêter attention, la femme rassemble rapidement ses affaires avec inquiétude. 

"Marie... Marie, ce n'est pas normal. Je brûle."

Elle se retourne. Il se tord sur son lit, une main sur son estomac, une autre essuyant la sueur de son front moite. Ses yeux d'or en fusion se pose sur elle. Des ombres de douleur et d'incompréhension passent au fond de son regard. Et des ombres de peur, aussi.

"Tu as été empoisonné.

— Empoi... quoi ?" répond-il d'une voix hâché.

Il essaie de se lever, mais ses muscles refusent de le soutenir. 

"Marie, il faut prévenir... Je... Me sauver...

— Non."

Il ouvre la bouche pour dire quelque chose, mais se recroqueville au dernier moment, sous une salve de douleur.

"Ce n'est pas juste, je sais. Tu ne comprends pas. Tu ne peux pas comprendre. Mais ta mort est nécessaire."

Il la regarde, incapable de parler, une expression de douleur contractant ses traits. La femme serre ses poings. Elle n'est toujours pas immunisée à la souffrance de ses victimes. Quelque chose au fond d'elle a toujours aussi mal. Je suis faible.

Et encore ce besoin de se justifier. 

"Le monde se meurt. Cela ne se voit pas encore vraiment, et les gens refusent de voir les signes avant-coureur. Mais nous sommes au bord du gouffre. Bientôt il sera trop tard."

Il grogne. Et vomi. Un des derniers symptômes avant la mort. Même dans l'agonie, même terrifié, son regard reste tout aussi terriblement beau. Cette couleur dorée aux reflets ambrés, signe évident de son pouvoir.

"Pour empêcher cela, ton espèce doit disparaître."

Elle détourne les yeux à ses convulsions, incapable de soutenir sa fin. Ses affaires en main, elle s'approche de la porte, prête à fuir. Encore. Et il faudra retourner à la guilde, qui lui assignera une nouvelle victime aux yeux d'or.

Puis les gémissements du jeune homme cessent. La femme s'arrête, sa respiration étant désormais le seul bruit troublant la chambre. Elle gratte d'une main tremblante le cercle noir tatoué derrière son oreille. 

"Nous voulons juste sauver le monde", souffle-t-elle d'une voix douce.

Celle qui voitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant