Lerte, appuyée contre l'écorce d'un sapin à moitié mort, regardait au loin le groupe de jeunes garçons. Ils étaient censés surveiller les bêtes qui paissaient dans la clairière émeraude, cet étang vert trop éclatant dans cette forêt sombre, mais ils ne leur accordaient en fait aucune attention. Ils étaient bien trop occupés à leur jeu : les chasseurs et le loup. Les chasseurs courraient, et devaient tuer le loup en l'attrapant, tandis que ce dernier les éliminaient d'un simple toucher.
C'était Aprien le loup. Son frère. Il était beau. Une tignasse de cheveux noirs brillant, un regard bleu frondeur, un rire confiant. Rapide, agile, il se jouait de ses camarades. Il fascinait Lerte. On pouvait deviner le sang commun qui les liait : la couleur de leur chevelure, la pâleur de leur peau, leur muscles fins et efficaces, leur grande taille. Alors que pourtant, tout les différenciaient.
"Eh, regardez, c'est la maudite !" cria un camarade d'Aprien en l'apercevant.
Elle hésita, et ce fut son erreur. La première pierre l'atteignit à la jambe, lui laissant échapper un hoquet de douleur. La seconde frôla sa joue. Elle n'avait pas vu le lanceur, le plus jeune garçon, à quelques mètres d'elle. Ils riaient, et se préparaient à une autre salve de pierres. Lerte recula, tremblante, et pris la fuite.
Stupide rêveuse.
À l'intéreur du village, les gamins n'osaient pas la toucher : elle était maudite, mais nécessaire. Mais ils étaient trop jeunes pour vraiment comprendre le paradoxe, alors ils profitaient de moments où les adultes n'étaient pas là pour les surveiller pour s'"amuser" avec Lerte. Sa jambe la cuisait alors qu'elle se dirigeait tant bien que mal vers le village. Mais ce qui la faisait souffrir le plus, c'était l'absence de réaction d'Aprien.
Stupide stupide rêveuse.
Elle l'aimait. Elle ne pouvait s'empêcher de l'aimer. Elle se détestait.
La forêt entrêmélée de buissons et de ronces s'éclarcicait alors qu'elle s'approchait des champs. Elle serrait les poings alternativement, se promettant de ne plus jamais s'approcher seule des enfants. Ou du moins d'être plus discrète. C'était ce qu'elle se disait à chaque fois.
Arrivée aux champs, elle suivit le petit chemin de terre qui les bordait et se dirigeait vers le village, tout en baissant le regard, une boule à l'estomac. Une boule de plus en plus présente ces derniers mois. Elle portait des vêtements en laine, et une sacoche de cuir avec les simples récoltés ce matin. Avant d'arriver aux premières habitations, elle bifurqua, et se dirigea vers la massue à l'écart. Sur le pas de la porte, une vieille femme aux cheveux sales et hirsutes la fixait de ses yeux vairons.
"Tu n'apprends pas de tes erreurs, maudite", grogna-t-elle de sa voix haute-perchée. "C'est comme cela qu'un jour, on tombe et on ne se relève plus."
Lerte l'ignora, honteuse qu'elle ait deviné où elle avait trainé, et entra dans la masure. Enfumée par un petit feu au centre de la pièce, l'atmosphère lui pesait. Elle rangea les herbes dans les pots correspondants, et commença à préparer le matériel pour en sécher quelques unes. En tant qu'être maudit par la forêt, elle s'occupait des tâches interdites. Le toucher des herbes mortelles, par exemple.
La vieille femme, son mentor, rentra lentement dans la masure. Lerte sentait son regard scrutateur peser sur ses épaules raidies. Techniquement, la socière était une maudite aussi. Mais tout le monde l'appelait la sorcière avec une sorte d'appréciation dans le mot. Une relation malsaine d'affection liait la vieille femme au reste du village. Une relation que Lerte ne comprenait pas. Comment peut-on accepter d'être mis à l'écart, rejeté, méprisé ? Irrationnellement, la jeune fille lui en voulait comme si c'était elle, la responsable de son mal-être.
"Le patriarche te cherche depuis ce matin."
Lerte lâche les feuilles rousses qu'elle avait à la main. Elle laissa son regard vagabonder sur les livres qui reposaient sur une étagère de fortune. Protégés par des couvertures en peaux, ils étaient des copies de livres ayant appartenus à des voyageurs de passage, recopiées avec amour par la sorcière. Les maudits avaient aussi la disgracieuse tâche de lire et écrire ; ils n'avaient pas le droit de participer aux rémissions et cérémonies orales du groupe. Ainsi, le patriarche avait parfois besoin d'elle pour adresser des lettres aux autres villages.
"Lerte. Je comprends ta peine", marmonna la vieille femme. "Je comprends ton envie de faire partie du groupe. Mais tu dois te rendre compte que l'exclusion n'est pas une punition."
La jeune fille l'ignora, et s'en voulait un peu de se venger sur la sorcière de sa mauvaise humeur. La vieille femme avait été comme une mère pour elle, et malgré ses paroles vaseuses et maladroites essayant de faussement la réconforter, c'était une femme bonne.
"Je sais", répondit Lerte d'un ton qu'elle ne voulait pas trop cassant. "J'y vais, avant de le faire attendre."
Elle reprit son sac, et se dirigea vers la sortie, avec la hâte de retrouver l'air frais et sec du dehors. La sorcière attrapa brusquement son bras d'une poigne forte. Elle plongea son regard mi bleu mi brun dans les yeux dorés de Lerte.
"Ma fille, des étrangers sont arrivés au village. Fais attention. Quelque chose n'est pas normal."
Pendant un bref et stupide moment, Lerte eu peur. Les doigts osseux qui s'enfonçeait douloureusement dans ses bras, le regard intense et troublant de la vieille, sa voix tremblante, et les ombres changeantes dégagés par le feu du centre de la pièce dégagaient une impression tenace de menace.
Puis cette impression disparu. L'âge avait accentué le caractère bipolaire de la sorcière, dont les sautes d'humeur et bizarreries avaient augmentées. Lerte était habituée à ces lubies. Alors, quand la vieille femme la lâcha, Lerte quitta la masure sans une ombre d'inquiétude.
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Celle qui voit
FantasyLerte est maudite. C'est ce que dit la sorcière du village quand elle regarde les yeux dorés inhumains de l'adolescente. C'est la justification que crachent ceux qui la rejettent. Et c'est la raison pour laquelle un groupe de mercenaires avides de r...