Chapitre 8

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Allongée sur le lit, Fôn me sourit en me demandant :

You want to see Phuket ?

Why not…? You come with me.

Elle saute de joie puis m’entraîne chez un loueur de motos. Sur la carte, le programme Phuket Villa Residence est situé à une vingtaine de kilomètres de Patong. Pendant qu’elle discute avec un garçon aux cheveux peroxydés, j’appelle le numéro relevé sur le site internet de commercialisation. Une voix féminine me propose une visite en fin d’après-midi. Après cinq minutes de marchandages, Fôn se tourne vers moi.

— 200 bahts for one day. I think good price.

Le gars photocopie mon passeport et encaisse deux mille bahts de caution pour une Yamaha Nouvo, une automatique pas plus difficile à conduire qu’une grosse mobylette, la puissance en plus. Fôn grimpe derrière. Elle porte un pantalon corsaire noir et un haut rayé qui lui laisse les épaules nues. Elle me guide à travers le trafic vers la route côtière.

La circulation est dense. Les blousons rouges des motos taxis slaloment entre les pick-up et les Farangs torse nu à la conduite raide et maladroite. Des échoppes vendent de l’essence en bouteille. Nous nous extrayons de Patong en direction d’une colline qui domine la mer au Sud. Le trafic devient plus fluide, j’accélère pour accroître la sensation de fraîcheur sur ma peau. Nous laissons derrière nous Patong. Un grand croissant de sable blanc écrasé de soleil… Les bras de Fôn enserrent ma taille. L’étoffe limpide de la mer ballotte toute une volée de petites embarcations dont les ombres se reflètent sur le fond transparent. Mon âme se dilate dans la chaleur de midi. Fôn tend le bras et me dit de sa voix rauque… Karong beach and Kata beach… Nous plongeons vers le bleu océan pour nous arrêter à l’entrée de Kata beach. Le Club Med s’étale le long de la plage, un emplacement unique. C’est là que je viendrais si j’avais du fric. Un peu plus loin, Fôn avise un restaurant de plein air :

I hungry too much. Here good place.

On vient à peine de démarrer. Mais Fôn a raison, nous n’avons avalé qu’un café sans sucre ce matin et je me sens nauséeux. Une jeune fille nous installe sous un parasol mauve Siam Commercial Bank. Sur la plage, un soleil cruel, tape presque à l’aplomb. Le goudron fondu dégage une odeur âcre de pétrole brûlé. Le sable semble vibrer sous la chaleur accablante de midi. Chauffée par le halo aveuglant de la mer, la brise n’apporte qu’une maigre consolation. Près de nous, une grande table de Français. Une clientèle plus familiale que celle de Patong. Club Med oblige. De ravissants enfants blonds, des femmes à la maigreur chic, des maris pleins d’assurance, genre avocats d’affaires teigneux qui ne se laissent pas marcher sur les pieds. Ils voyagent avec des amis qui leur ressemblent, la même bonne conscience. Ils consomment du café Max Havelaar (celui avec les paysannes boliviennes moches en photo), roulent en voiture hybride, font de l’humanitaire. La classe exploitante dans toute sa splendeur. La dernière ruse des possédants a été de se vêtir d’une bonne conscience socio écologico équitable. Voter à gauche facilite la digestion, accélère le transit intestinal. Si au moins ce laxatif de la pensée avait amélioré la vie de ceux d’en bas, mais, dans la soute, la pression n’a jamais été forte, le burn-out guette. En tout cas, ceux-là ne semblent pas trop souffrir de la crise. Du coup, je ressasse mon amertume dans mon coin et mon curry vert me reste sur l’estomac. Fôn sent les regards en biais. Ceux des hommes complices ou libidineux. Ceux des femmes mêlant l’hostilité à la pitié. Le déjeuner terminé, nous nous replions vers les pliants posés sur la plage.

Comme toutes les Thaïes, Fôn fuit le soleil. Elle se protège avec le plus grand soin de la chaleur. Je lui achète une copie de lunettes de soleil Prada. En encaissant ses deux cents bahts, le vendeur ambulant répète sexy lady en levant le pouce pour flatter mon ego, feignant d’ignorer la nature vénale de notre relation. Fôn me remercie en me serrant contre sa peau moite. Je sens ses cils battre dans mon cou. À l’abri du parasol, nous nous bécotons comme de jeunes mariés, au grand dam d’une vieille goule malfaisante ne levant les yeux de son Da Vinci Code que pour nous fusiller du regard. Avec mon bide et mon air plus très frais, je suis le client rêvé pour illustrer un reportage racoleur consacré au tourisme sexuel.

Soleils noirs et nuits blanchesWhere stories live. Discover now