Prêt à se mettre au vert

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Emmanuel faisait les cent pas autour de la table de réunion, pensif, les yeux dans le vide, sans regarder ni parler au ministre de la Transition Écologique, Nicolas Bulot, qui l'attendait patiemment, les bras croisés, profondément enfoncé dans son siège de bureau. Soudain, Emmanuel se figea et regagna rapidement sa chaise.

- Bon, trancha le président. Fini de rire. Retarder l'heure fatidique ne changera en rien l'importance de la décision. Donnez-moi vos propositions.

- Diminuer la vitesse maximale autorisée sur autoroute de 130 à 110 km/h. Interdire le chauffage en terrasse. Déclarer 30% de la superficie du territoire français comme parc naturel. Interdire les constructions des bâtiments industriels ou supermarchés sur des zones agricoles vierges pour les réaliser sur des friches industrielles. Interdire les vols en avion intérieurs à la France qui peuvent s'effectuer en 2h30 ou moins en train. Interdire l'utilisation du glyphosate à des fins...

- Non, pas le glyphosate ! s'écria de désespoir Emmanuel.

Il mit la tête dans ses mains et respira lentement.

- Nous avons déjà fait l'expérience, monsieur le Président, rappela Nicolas Bulot. Les petites actions en faveur de l'environnement étaient efficaces sur votre... maladie seulement au début du traitement. À présent, pour qu'elles aient une véritable influence sur la teinte de votre peau, nous devons viser gros.

- Je sais, mais... c'est le glyphosate, quoi. Renoncer à un avantage économique aussi considérable...

- Monsieur le Président. Voulez-vous vous adresser aux Français, ce soir, oui ou non ?

Emmanuel se tut un instant. Il se redressa lentement, prit son courage à deux mains et annonça d'une petite voix :

- Soit. Faisons ça.

. . .

Emmanuel lança sa veste sur une chaise et s'étala sur son lit, épuisé. Il n'en pouvait plus. Après avoir recouvré sa couleur de peau normale, il s'était adressé aux Français en direct, avec un discours qu'il jugeait plus que bancal. Il avait ensuite dû répondre à des centaines de questions sur les raisons de sa subite transition écologique de la part des journalistes lors d'une conférence de presse puis à ses invités au cours du dîner. Plus la soirée s'étiolait, plus il éprouvait des difficultés à trouver des arguments cohérents. Lorsque qu'un énième intervenant l'avait harangué, il n'avait pu tenir une minute de plus et avait prétexté un mal de tête épouvantable pour s'écarter le plus possible de la foule grouillante de ses interlocuteurs sans gêne. Seul avantage de l'histoire : les militants écologistes avaient cessé leurs manifestations et ne risquaient plus d'importuner son sommeil.

Lassé de son rythme de vie frénétique, il attrapa la télécommande de la télévision qui traînait à ses côtés et l'alluma. La plupart des chaînes sur lesquelles il tombait s'étendaient et conjecturaient sur l'origine de ses décisions de la journée. Il soupira et éteint le téléviseur. Sans pouvoir résister une minute de plus à l'inexorable attraction du sommeil, il se laissa tomber dans les bras de Morphée.

. . .

- L-G-B-T, il faut nous accepter ! L-G-B-T, respectez l'égalité !

L'esprit embrumé, Emmanuel ouvrit un œil. Il jeta un coup d'œil à son réveil. 9h30. Pas de soucis, se souvint-t-il. Aujourd'hui, c'est ma journée de congé.

- L-G-B-T, laissez-nous nous chouchouter ! L-G-B-T, ou on va vous éclater !

Emmanuel plaqua son coussin sur ses oreilles et pesta. Encore une fois ? Ne pouvait-on pas le laisser dormir en paix, au moins juste pour une journée ? Quand il sentit qu'il était définitivement réveillé, il jeta l'éponge et se leva précautionneusement de son lit.

- Foutus déviants à la mords-moi-le-nœud, jura-t-il.

Traversé d'une irrépressible envie de se passer de l'eau sur le visage, il passa dans la salle de bains adjacente, appuya à tâtons sur la lumière de sa chambre et aperçut son reflet.

- Nom de Dieu, lâcha-t-il.

Des mains aux oreilles, du visage aux doigts, Emmanuel Matron était devenu totalement rose.

Vert pommeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant