FAKE FRIENDS

5 - GREEN DRESS

« Green dress
That silky little thing so slight and sleeveless"

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Trois. C'est le nombre de jours qu'il me reste avant le bal d'automne. Nerveuse, je suis assise à l'arrière de la vieille Jeep de Cristal. Enfin, cette voiture en piteux état appartient plutôt à sa tante, chez laquelle elle loge depuis un an maintenant. Je ne peux m'empêcher de me mordiller l'ongle du pouce, tandis que le vent qui s'engouffre par les fenêtres ouvertes se fait un malin plaisir à détruire ma coiffure. 

Fébrile, je sors mon téléphone de ma poche et le déverrouille, pour la cinquantième fois depuis le début de la journée. Toujours pas de réponse de l'application ... Je commence à croire que ce service de « fake friends » n'est qu'une vaste arnaque, et que j'ai donné toutes mes informations personnelles sans même hésiter une seconde ! Je soupire, et range mon téléphone à nouveau, sachant pertinemment que je vérifierai encore dans quelques minutes.

Cristal me lance un sourire, dans le rétroviseur. De longues boucles d'oreilles dorées se balancent à ses oreilles, rythmées par la route irrégulière. Celles-ci s'entremêlent à ses cheveux noirs et épais, retenus au-dessus de sa tête par une paire de lunettes de soleil ronde. J'ai toujours trouvé Cristal très belle, et à en croire l'attitude de tous les garçons du lycée, quand elle est arrivée un an auparavant, je n'étais pas la seule. Elle a un charme indéniable, une beauté qui saute aux yeux.

Sasha, elle, est installée à l'avant, à côté de Cristal. Je ne peux distinguer que son dos, courbé, et l'arrière de sa tête, qui semble être rivée sur son téléphone portable. Elle pianote sur l'écran à une vitesse impressionnante, sans doute en train de planifier une sortie, une réunion ou un quelconque événement pour l'un des nombreux clubs dont elle fait partie. Sasha est comme ça : obsédée par son travail et ses responsabilités, quel que soit le moment de la journée.

Je tourne la tête, et me plonge à nouveau dans l'observation du paysage qui défile. Nous venons à peine de quitter le décor campagnard pour la ville de San Antonio : aux champs de blés se succèdent les routes de béton, les larges trottoirs où défilent la population et des bâtiments gris qui s'élèvent haut dans le ciel. Des enseignes aux couleurs criardes commencent à s'allumer, et éclairer les rues de leurs néons, en cette fin d'après-midi.

Je n'ai jamais vraiment aimé venir en ville. Pour moi, les cités  reflètent tous les défauts de la société : les voitures si nombreuses qu'elles font des bouchons et polluent par la même occasion, l'excès d'éclairages, et tous ces magasins de grandes chaînes internationales qui vendent à des prix exorbitants ce qu'ils ont produit pour des coûts dérisoires ... Et puis l'agitation, le manque de nature, le prix des loyers, tout cela m'a toujours déplu. Je redoute l'année prochaine, où j'aurai sans aucun doute à devoir quitter mon village rural natal pour l'une de ces grandes métropoles.

J'inspire une grande bouffée d'air frais, et ferme les yeux, pour profiter de la sensation du vent contre mon visage. Cristal et Sasha ont réussi à me traîner à leur session d'essayages pour le bal. Au début, je refusais catégoriquement d'y aller. Après tout, je n'ai pas de cavalier, alors à quoi bon ? Puis finalement, Sasha a réussi à me convaincre grâce à une argumentation bien ficelée, qui ne m'a pas laissé le choix.

Depuis des années, acheter nos robes de bal en ville, au dernier moment, est devenu une tradition. Ceci remonte à la cinquième pour être exacte, alors que mon père avait renversé par accident une tasse de café sur la robe que je conservais depuis des mois ... Furieuse et surtout totalement anxieuse, j'en avais d'abord voulu à mon père, avant de partir dans une crise d'angoisse terrible, comme à mon habitude. Sasha m'a aussitôt porté secours, comme à son habitude. Elle a proposé à mon père, sans tergiverser, de nous conduire à San Antonio, la ville la plus proche – bien qu'elle soit à une heure et demie en voiture. Là-bas, nous avons écumé une bonne dizaine de fripes pour chiner la robe parfaite. Tout ceci, deux jours avant le bal de fin d'année.