Island of the Missing [REECRITURE]

Premier jour : Le grand voyage

«Regarde !» s'exclame ma meilleure amie, la main pointée vers la fenêtre.

Je tourne la tête et aperçois le gros paquebot qui commence à se dessiner à l'horizon. Jieun me sourit, de plus en plus excitée à l'idée d'arriver à bon port. Le vent salé qui s'engouffre par la fenêtre fait voler ses longs cheveux noirs sur ses épaules, jusqu'au milieu de son dos. Aucune boucle ne vient gâcher la perfection de sa chevelure lisse. Elle a même mis un joli chapeau de paille pour l'occasion, une passion qu'elle tient de sa mère.

«Calme-toi, on arrive bientôt. Pas besoin de nous hurler dans les oreilles,» la réprimande son père, au volant.

Il me jette un regard aimant dans le rétroviseur, et je discerne même les petites rides au coin de ses yeux s'étirer dans un sourire. Malgré son ton autoritaire, lui et sa femme ont tous les deux les yeux rivés sur le monstre métallique qui devient de plus en plus visible. La radio diffuse les dernières nouvelles du jour, que j'écoute à peine, captivée par ce paquebot qui approche.

«Une grosse secousse s'est fait ressentir sur...»

«Mais papa ! Tu te rends pas compte ? On va partir en croisière, tous ensemble ! Sans vous ! Moi, je trouve ça génial !» s'exclame Jieun, sans lâcher la fenêtre des yeux.

Ce bateau va devoir nous supporter pendant les prochaines semaines, puisque notre école nous emmène en voyage scolaire. Mais ne vous méprenez pas, ce n'est pas une simple sortie de fin d'année. L'université S.O.T est une école privée pour enfants fortunés. C'est sûrement un père en pleine crise d'ego qui a proposé l'idée, assurant qu'il couvrirait les frais. Si mon père n'avait pas autre chose a faire j'aurais pu parier que c'était son idée. Toujours être plus fort, plus riche, plus investie dans l'éducation de ses enfants - sans jamais s'occuper d'eux, ça va sans dire -.

Comme dans tout bon cliché, mes parents travaillent jour et nuit et n'ont pas pu m'amener, ni même me dire "bon voyage". C'est donc les parents de Jieun qui nous ont gentiment proposé de nous emmener, toutes les deux. De toute façon, je suis bien plus souvent chez eux que chez moi. L'atmosphère de séparation qui y règne n'est pas ce que je préfère, alors j'évite d'y traîner. Maman s'en plaint souvent entre deux coups de fils professionnelles et gros contrats.

«Calme-toi, si tu continues, je suis sûr qu'un malheur va vous arriver,» plaisante le père de Jieun.

Elle souffle avant de se rapprocher de moi pour murmurer, malicieuse : «Je sais très bien que tu es aussi excitée que moi. C'est pas tous les jours qu'on part avec des beaux mecs !»

Et elle continue de papoter jusqu'à la fin du trajet, son sourire espiègle illuminant le véhicule.

Jieun et moi nous sommes rencontrées en primaire. J'étais la nouvelle, seule et perdue, tandis qu'elle rayonnait déjà, avec ses doudous énormes et ses robes roses bouffantes. J'ai eu beaucoup de mal à m'intégrer, alors qu'elle nageait comme un poisson dans l'eau. Je ne sais plus vraiment pourquoi, mais on ne s'aimait pas. Puis, en arrivant au collège, on est devenues inséparables. Toujours fourrées ensemble. C'était une aubaine pour nos parents qui s'entendaient déjà bien -entre gens fortunés tout le monde se connaît -. Jieun est partie vivre aux États-Unis pendant un an et on est restées amies, mais ce n'était plus comme avant. Nous sommes toujours meilleures amies mais notre amitié est... comment dire...

«Tu m'écoutes même pas quand je parle, vieille peau,» râle-t-elle en me tendant un chewing-gum.

Voilà. L'amour vache, comme on dit.

«Non, j'ai arrêté il y a dix ans, t'étais trop insupportable.»

J'entends la mère de Jieun se racler la gorge, mais elle ne dit rien. Après dix bonnes minutes, je sens la voiture se garer, alors que Jieun et moi nous fusillons du regard. Elle me fait un doigt d'honneur et ouvre la portière pour s'enfuir sur le parking. Je me dépêche de la suivre, persuadée qu'elle est déjà loin, mais je la trouve juste devant, complètement émerveillée face au bateau qui se dresse devant nous.