Partie 1

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Les six grosses cylindrées se turent avec une synchronisation quasi parfaite. Les motards descendirent de leurs bolides, encore enivrés par la sensation de vitesse et de liberté que leur avait apporté leur court trajet.

— Ça, c'est fait ! lança un jeune homme en flattant la selle en cuir de sa moto.

— Yep ! répondit une voix féminine.

L'échange avait eu lieu sans qu'aucun des interlocuteurs ne prenne la peine d'enlever son casque et pour cause, casque il n'y avait pas.

Car c'est ainsi que cela se passait à New Diététique Angeles. Les gangs étaient si dangereux et si puissants qu'ils se permettaient toutes sortes d'infractions aux règles de vivre ensemble et de sécurité les plus élémentaires. Les forces de l'ordre trouvaient de toute façon toujours mieux à faire que de proposer des leçons de code de la route à ces bandes, comme sécuriser les machines à café de la zone commerciale ou verbaliser les petites vieilles qui ne traversaient pas aux passages piétons.

— Bon on entre ! Lança un homme au crâne rasé et à la barbe hirsute sur un ton qui ne laissait pas de place à la discussion.

Avec la même synchronisation, comme si tout cela avait été chorégraphié pour une publicité de marque de luxe, ils enlevèrent leurs lunettes de soleil et les accrochèrent au col de leurs t-shirts.

Ils traversèrent quelques mètres de bitumes et poussèrent brutalement la porte de l'établissement. Ils se déplaçaient en roulant des épaules, en regardant de haut les badauds et en passant la main sur leurs nuques musclées, leurs cheveux ébouriffés par le vent ou leurs barbes fournies.

On était dans le domaine de la pure frime complètement assumée, mais ils pouvaient se le permettre. Les trois femmes et trois hommes étaient forts, riches, puissants, influents et respectés.

Mais surtout, ils étaient libres. Ils allaient où ils voulaient, comme ils voulaient et quand ils le voulaient. Leurs différents trafiques leurs laissaient assez de temps pour vagabonder à l'envie et leur fournissaient assez de revenus pour ne pas avoir à travailler. Leur liberté n'était pas entachée par les horaires, les factures et les attaches, mais par l'ambition des autres gangs, c'était de bonne guerre.

Le groupe était impressionnant, du genre à faire changer de trottoir les honnêtes gens. Ils étaient fait de blousons de cuir, de bijoux aux motifs effrayants, de cicatrices et de tatouages représentant loups enragés et crânes ricanant. Pour faire bonnes mesures, ils laissaient leur joie de vivre pour leur QG et tiraient constamment la gueule en public. Ces gueules aux regards noirs et aux mâchoires serrées qu'il était de bon ton de ne pas importuner sans une excellente raison. Pire que tout, ils portaient en patch sur leur cuir leur totem, leur logo, leur marque de fabrique, leur identité et leur appartenance à cette terrible bande. Ils arboraient Apiaceae aux rires déments, Brassicaceae sur fond de flamme et de sang et Chenopodiaceae munit de haches ou d'armes automatiques.

Ils étaient le gang des légumes.

L'arrivée de la bande passa aussi inaperçue que pouvait passer l'arrivée de six loubards à la mine patibulaire. Aussi, les quelques discussions en cours se turent et le temps sembla se suspendre quelques secondes. Satisfait de son entrée, le chef afficha un petit sourire et adressa le signe en V des motards à l'homme derrière son comptoir, politesse que lui rendit le patron avec un regard complice.

Le pilote en chef, le grand gaillard au rasage parfait sur le crâne et plus approximatif sur le visage, surnommé Nav', parcourut des yeux la salle.

A leur entrée, quelques hommes quittèrent le bar sans demander leur reste ni croiser le regard de la bande. Car c'est ainsi que cela se passait à New Diététique Angeles. Quand les gangs vous avez dans le nez, il valait mieux faire profil bas.

Le gang des LégumesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant