Londres, 1885
"Je suis le Diable."
Ainsi avait commencé ma rencontre avec l'homme qui allait chambouler ma courte vie. Je ne pouvais voir que ses mains, gantées de noir, larges et ses avant-bras, tout aussi épais. Le reste de son visage était caché par le mur qui nous séparait. Sa voix était proche de celle des catholiques de l'île d'Eire et son latin des plus basiques.
Vivant au plein coeur de la capitale, je m'attendais à recevoir bien des gens, sacristains, nobles et pécheurs, faux ou véritables. Néanmoins, en deux ans dans la banlieue londonienne, je n'avais jamais rencontré quelqu'un comme cela. Bien sûr, cette phrase était souvent dite par les volages et les meurtriers qui venaient à ma visite, le visage caché par leurs mains ou plongés dans l'abîme qu'offrait l'ombre sous la plaque de chêne mais en voyant sa stature droite, à travers la fine grille de fer taillée, je comprenais aisément qu'il ne se sentait pas coupable mais souhaitait désigner un fait presque immuable.
"Pourquoi en venez-vous à cette conclusion ?"
La première des leçons que l'on apprenait en tant que prêtre, face aux pénitents était d'avoir le plus d'informations sur l'acte afin de pouvoir donner pardon ou condamner le concerné. Je m'attendais à l'écouter mais à l'instant où j'entendis son inspiration, prête à dévoiler son péché que quatorze heures sonna. Je devais laisser la place pour préparer l'office de l'après midi. Je m'excusais rapidement mais contre toute attente, sa main prit mon poignet, en me poussant à me rasseoir.
"T'as pas fini de m'écouter.
Excusez moi mais... Je dois..."
Avant que je ne puisse finir ma phrase, je vis son regard. Ses yeux étaient d'un effrayant violine, une sorte de mélange si intriguant qu'il en venait à me tirer de toutes mes forces de ses mains gantées. Une boule prenait lentement naissance au creux de mon estomac, une sorte de culpabilité entrecroisée de peur devant cet inconnu qui voulait vraiment me dévoiler tout de sa vie sans que j'en connaisse un mot à part cette phrase. J'hésitais désormais à dire si c'était une pure blague ou un avertissement. Son physique massif, sa grande moustache d'un brun doré remontée en guidons et sa tenue noire, dans la pure mode victorienne finissait par pétrifier mes cordes vocales, me faisant craindre le pire.
"Pater noster, aduvia me"
Jamais ces mots n'avaient eu un goût aussi amer au creux de ma bouche. Je me forçais à retenir ma peur mais ce pouce concentré sur mon articulation ainsi que son possesseur devinaient intuitivement mon état mental. Il me reprit à nouveau vers lui. Sa poigne me fit presque chuter et sans que je ne pus dire une seule syllabe supplémentaire, je me suis retrouvé à nouveau à ma place, dans une position plus qu'étrange. Ma main était fermement liée à celle de cet irlandais dont je fus obligé d'écouter toute l'histoire décousue et étrange. Même aujourd'hui, je ne me souviens plus exactement des mots qu'il m'avait avoué. Néanmoins, après ce moment insoutenable, il disparut, ne m'adressant qu'un pauvre "Merci". Est-ce qu'un "Pardon...", sagement soupiré aurait pu réduire mes appréhensions? Possible.
Toutefois, je n'y pris plus attention jusqu'à mon office du soir, car, une fois entré dans la petite chaumière jouxtant l'église, me servant accessoirement de bâtiment de villégiature, je fus surpris de découvrir le journal du jour ainsi qu'un bol de soupe, accompagné de morceaux de pain frais et d'un bout de munster, dont ne s'échappait aucune goutte de sueur.
Ce n'était pas le cas de mon front.
Était-ce le sonneur de cloche qui avait eu le temps de me préparer une telle chose? Non, il était parti depuis la tombée de la nuit, rejoindre sa vieille mère. D'un coup, la peur se mit à nouveau à m'envahir sérieusement. Ma cuiller de bois en tremblait même. Je sentais ces accords du Diable frotter à mes oreilles, cet accent me demander si je trouvais ma pitance acceptable. Comment un simple étranger avait-il pu autant me brusquer, me hanter pendant ma fatigue. Mon estomac se tordit aussitôt de douleur, me poussant à prendre le chemin de la chapelle afin de prier. Je ne pouvais pas me trouver sous un tel tourment à mon jeune âge...
Cet accent, cette voix, je ne pouvais y croire intérieurement. Je ne pouvais pas être moi-même possédé par une telle folie. Je n'étais en ces lieux que depuis un peu plus de trois ans, étant arrivé totalement amnésique quant à mon identité. Lors de mon arrivée dans cette église, la fine lumière grise qui se dégageait à l'extérieur arrivait à éclairer les vitraux. A leur simple vue, je pouvais me rappeler de leur nom, ce qu'ils avaient fait de leur vie pour atterrir sur ces gravures immortelles et aux couleurs restées, malgré les années, d'un vivace qui m'étonnait parfois encore, lors d'un bref éclat de soleil ou de lune. Cet astre baignait d'ailleurs les jambes de St George, le saint patron de cette bâtisse presque millénaire, assis, triomphant du Dragon, sa monture redressée pendant que Ascalon pourfendait ce mal.
"Ô, vénéré saint Georges, je salue votre foi et votre courage
- Tes prières ne te servent à rien.
- Allez vous-en! Sortez de mon occiput!"
Je voulais, je souhaitais que cette voix en moi s'enfuie mais au lieu de partir, elle resta, s'incrustant de plus en plus en moi et me poussant à m'enfuir, les larmes aux yeux, dans ma demeure, prendre mon chapelet et ma Bible, au bord de ma couche, comme seules et dernières défenses devant ce charme qui agripait mon âme pour la détacher de ma foi. Jamais je ne m'étais senti si faible. C'est alors que je le vis au dessus de moi. Il me scrutait de ses yeux pourpres luisant malgré les chandeliers et autres bougies éteintes. Comment pouvait-il seulement tenir de cette manière? Effrayé, je ne pus que chuter de mon lit, resserrer d'autant plus mes reliques contre mon torse, récitant le Pater Noster et le Ave Maria comme des formules presque magiques. Son souffle se rapprochait de ma peau, un contact chaud, brûlant qui m'insupportait. Une seule question emplissait mon esprit... Pourquoi? Pourquoi moi?
Je ne répondis pas à cette interrogation, sentant une légère douleur à l'arrière de mon cou puis un complet trou noir. A mon réveil, c'était comme si cette scène n'avait jamais existé... Avais-je rêvé?
Cette histoire si invraisemblable, je vais vous la conter, moi, ainsi que le second protagoniste de ce récit si incroyable, qu'encore aujourd'hui, je peine à y croire...
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Soleil De Minuit (Polar Yaoi Fantastique)
ParanormalUlrich, jeune prêtre à moitié amnésique, vivant et officiant dans une église anglicane rencontre, dans son confessionnal, un homme qui se dit être un démon. Il écoute à demi-mot ses aveux puis décide de complètement l'oublier, jusqu'à ce que de nomb...