Chapitre 2

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Lorsque j'émerge enfin, c'est au son des oiseaux. Les brides de rêve qui me retiennent encore me projettent dans un jardin luxuriant avec sa faune gambadant autour de moi. Mais contre ma joue, le métal froid de l'épave éveille mes sens. Près de moi, je sens quelqu'un qui bouge. Rêve-t-il aussi ?

J'ouvre les yeux, m'acclimatant doucement à l'obscurité. Les oiseaux ont cédé la place aux crépitements des appareils en rade. Mes muscles me font moins souffrir. Il est plus facile de m'extraire de ma position, sans trop gêner les autres. Je les laisse dormir, claudique hors de la pièce et observe le désastre.

Quelle idée aussi, d'aller explorer les Confins ! De notre mission scientifique, ne reste qu'une épave que l'on oubliera bien vite, si ce n'est pas déjà fait. Personne ne viendra nous chercher, ni nos proches et encore moins les autorités de l'Empire Galactique. Ils ont d'autres chats à fouetter que de repêcher des petits scientifiques qui voulaient en apprendre plus sur l'univers. Nous sommes définitivement perdus. L'amer constat me laisse un sale goût dans la bouche, tord mon estomac le temps d'une émotion fugace. J'entends d'ici les remarques sarcastiques, les « vous vouliez explorer ? Et bien, faites-le » ricanés alors que nous préparions le vaisseau.

« Nous en savons bien assez. » Coincé dans leur pseudo compréhension du cosmos, aucune académie de science, d'astrophysique ou je ne sais quoi d'autre n'a voulu nous financer, nous aider, nous approuver. A croire que, trop imbu de leur connaissance et de leurs certitudes, ils ne souhaitaient pas se remettre en question. Il nous a fallu l'aide d'un mécène privé, de longues heures à trouver et à réhabiliter un vaisseau de voyage pour enfin mettre les gaz et quitter l'atmosphère nauséabonde de suffisante de notre planète. Qu'ils aillent tous au Diable... enfin, si nous n'avons pas échoué en Enfer.

Depuis le pont, je cherche une brèche. Au point où nous en sommes, je peux bien aller jeter un œil à l'extérieur. D'après Sonia, l'atmosphère est respirable. Et puis... vu l'état du navire, je pense que nous le respirons depuis un moment déjà.

L'illusion d'oiseaux, d'une faune et de forêt de mon rêve m'a donné envie d'air. J'en ai assez de ne contempler que du gris et du métal depuis des semaines. L'effet d'enfermement finit par me donner la nausée et des sueurs froides. Je crois que je deviens claustrophobe avec le temps.

Un courant frais me chatouille la nuque. Mon corps se tend sous cette caresse, mes poils se hérissent. La partie raisonnable de mon cerveau m'alerte du danger potentiel, tandis que la partie fantasque rêve d'étendue verte ou du moins d'un ciel qui ne soit ni trop bas ni gris acier. Je me dirige au jugé vers la source de fraicheur. Il me faut de longues minutes pour trouver enfin. Entre deux plaques d'acier effondrées, un rayon de lumière me fait espérer. Je les pousse, les déplace, m'échine dessus pendant encore un moment, faisant fi de toute discrétion. Je sais que je suis censée avoir mal, mes blessures ne doivent pas s'être totalement refermées mais... je ne les sens plus. Je n'y pense qu'une demi-seconde pour oublier aussitôt.

Je crois que d'autres se sont réveillés. Je les imagine dans l'embrasure de la porte, la mine défaite et les yeux emplis de sommeil. Me cherchent-ils ? Qu'importe. Je poursuis sur ma lancée, la tôle grince, le vent extérieur m'encourage de ses bourrasques.

Bientôt, j'aperçois le monde. La lumière m'explose au visage, me fait plisser les yeux. Les couleurs me fouettent le visage, m'assaillent et me font frémir. Je ne peux retenir une exclamation de joie. Titubant, je fais mes premiers pas sur ce monde nouveau. Enfin acclimatées, mes paupières s'ouvrent sur un monde étonnant.

Autour de moi règne une verdure luxuriante. Les arbres, immenses, laissent filtrer les rayons du soleil. Leur tronc gigantesque se dresse, tantôt parfaitement droit, tantôt sinueux. Un mouvement sur ma droite attire mon regard. Un animal ? Impossible de savoir. Mais je constate les dégâts de la chute du vaisseau. Un long sillon noir traine derrière l'épave, preuve de notre dérive. Cela explique sans doute que nous n'ayons pas explosé au sol et plutôt rebondit, glisser tout en s'écrasant. Plus à la manière d'un avion que d'un vaisseau spatial. Je me détourne rapidement de ce triste constat, ne m'inquiétant pas davantage des raisons de cette étrange chute.

D'immenses fleurs rouges pointent vers le ciel, cherchant la caresse chaude de l'astre. Devant moi, les herbes m'arrivent au genou, j'en déduis la nature sauvage et non domestiquée de l'environnement. J'ose frôler de la main la corolle de pétales aussi voluptueuse que du satin. J'oublie tout. Le monde se résume à ce qui m'entoure, à cette nature si envoûtante et si belle. Une odeur sucrée assaille mes narines, me fait saliver. Elle m'évoque un bonbon qui glisse sur ma langue, de ceux qui piquent les papilles pour plus de plaisir et de sensations. La senteur de l'herbe humide et coupée m'enveloppe comme un cocon. J'ai envie de m'allonger, de me laisser envahir par ces milles sensations, les bruits, les odeurs, les frissonnements de mon épiderme, répondant à je ne sais plus quel stimulus.

J'avance encore. Mes pas me guident vers les arbres pour en éprouver le tronc. Lui donner réalité. Est-ce que je rêve encore ?Je ne songe qu'à retirer mes chaussures, chaussettes et éprouver le sol sous les orteils. Je veux la caresse des feuilles, la douceur des pétales, le chatouillement de l'herbe. Je sens les senteurs proche de la groseille des fruits rouges un peu plus loin. Et si je goûtais ?

Un oiseau passe au-dessus de ma tête, détournant mon attention. Ce fut si bref, si fugace, que j'ai à peine le temps de le contempler. Je ne remarque que le plumage marron-rouge, et son chant qui carillonne dans mes oreilles. Mon corps amorce un mouvement vers lui. Je voudrais le poursuivre, le regarder, peut-être même en apprendre plus sur lui et son espèce. Voler à sa rencontre ? Pourquoi pas. Mais déjà mon attention est accaparée par un autre détail. Un insecte se glisse à mes pieds, grimpe sur mon pantalon avant de faire demi-tour. Aussi grand qu'un doigt, ressemblant vaguement à un mille-pattes, mais de couleur verte, il se faufile déjà entre deux touffes d'herbe et disparait.

Une main se pose sur mon épaule, dissipant l'enchantement. Amir et Sonia contemplent eux aussi le décor qui nous entoure. Un sourire flotte sur leurs lèvres. C'est Tamara qui m'a touché. Son regard, perdu dans l'horizon, se fait plus sérieux, plus sombre, à mesure qu'elle détaille la nature foisonnante.

– Où sommes-nous ? sont les seuls mots qui franchirent ses lèvres.

Elle hume l'air, curieuse, avant de se retirer dans l'obscurité du vaisseau, comme si elle fuyait quelque chose, suivi aussitôt par les deux autres. Mais... fuir quoi ? La beauté ? Le calme ? La nature dans toute sa splendeur, ses odeurs, ses sensations ? Je ne comprends pas. Je n'en ai pas envie. Mais déjà ils m'appellent, me rappelant mon grade, mes responsabilités. Tout ce que je voudrais laisser là, en plan, pour me fondre dans ce paysage de rêve.

Résigné, j'abandonne le magnifique spectacle pour rentrer à mon tour.

EdenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant