Le centre du monde peut être où l'on veut

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Frances venait de se remettre du rouge à lèvres pour la quatrième fois. Elle ne cessait de se regarder dans le miroir perplexe. C'était le deuxième rendez-vous qu'elle avait avec Reggie Kray. LE Reggie Kray, le plus grand gangster de la ville, qui fait tourner tant de têtes.

Elle se demandait bien pourquoi cet homme avait jeté son dévolu sur elle, Frances n'était pas sûre de comprendre. Ils s'étaient embrassés la dernière fois, au club que Reggie possédait. La jeune femme avait déjà embrassé des garçons de son âge évidement, mais ça n'avait rien à voir. Reggie était plus vieux que les autres, il était différent, ce n'était pas un adolescent, loin de là. C'est pour cela que Frances se préparait méticuleusement depuis plus d'une heure trente. Peut-être qu'il allait lui dire qu'il ne voulait pas d'elle? Qu'ils allaient devoir arrêter de se voir? Elle s'en rongeait les ongles. De plus, cela faisait une bonne heure que sa mère pestait contre ce "criminel". Seul son frère s'amusait à la regarder se préparer avec un petit sourire en coin.

Cela faisait longtemps qu'il était aux services des Kray. Frances se souvenait de voir Franck quitter sa chambre le soir, alors qu'elle avait treize ans, pour partir faire toutes sortes de combines douteuses mais qui rapportaient cependant un peu d'argent. Elle n'avait vu les deux frères que quelques fois. Ils lui semblaient venir d'un monde plutôt éloigné, pas le sien, alors qu'elle était encore une petite fille. Quand ils venaient fumer dans le salon avec son frère pour parler affaire, elle se contentait de rester dans sa chambre. Les sermons que les enseignants leur faisaient sur l'autre sexe n'aidaient pas le jeune fille à sentir à l'aise devant les hommes, en dehors de son frère. 

Elle venait de passer une mini robe dorée. La mode était au très court depuis quelques mois à Londres, au grand désespoir de sa mère. Elle enfila de jolies ballerines et des boucles d'oreilles brillantes. Ses faux-cils étaient en place, elle souffla et s'assit sur son lit, patiente. Son frère vint la voir, cigarette à la bouche. Il s'assit à côté d'elle sur la couverture de son lit aux grosses fleurs délavées. Frances n'osait même pas le regarder, trop paniquée par l'arrivée imminente de Reggie. 

"Sois pas inquiète comme ça, tu lui as tapé dans l'oeil, ça se voit."

Elle espérait sincèrement que cela soit toujours le cas. Ils s'étaient embrassés, ce n'était pas rien tout de même. Enfin peut-être que pour lui, si. 

La sonnerie de la maison retentit. La jeune femme se leva d'un bon, légèrement tremblante, le coeur au bord des lèvres. Elle attrapa maladroitement son sac à main et son frère lui tendit, toujours souriant, son manteau. Elle dévala les escaliers sous l'oeil mauvais de sa mère. Une fois devant la porte, Frances inspira un grand coup et arrêta de trembler. Elle se devait d'être présentable. Elle ouvrit la porte de la maison et la referma rapidement, voulant oublier les leçons de morale de sa mère le plus vite possible. 

Reggie était là, toujours aussi beau, dans son costume élégant parfaitement repassé. Il lui sourit. Elle se sentait si minuscule à côté de lui, au fur et à mesure qu'il s'approchait d'elle.

"Vous êtes resplendissante."

Frances eu du mal à contenir un rougissement.

"Je vous retourne le compliment."

Elle n'osait pas le regarder dans les yeux. Reggie eu un léger sourire, sans qu'elle ne le remarque. Il lui tendit son bras. 

"Allons-y."

Une fois dans la voiture de Kray, le malaise de Frances s'accentua. Elle gardait les yeux foxés sur les rues londoniennes, quelque peu perdue. Reggie fumait tout en conduisant, cela lui piquait les yeux. L'ambiance était glaciale, d'habitude, il faisait la discussion et la faisait rire: rien de tout cela n'était arrivé pour le moment. Elle se sentait étouffée par ce silence pesant qui durait maintenant depuis une dizaine de minutes. 

"Vous ne m'avez pas embrassé."

Frances releva les yeux d'un coup vers le conducteur de la voiture, perturbée.

"Vous ne m'avez pas embrassé et vous fuyez mon regard depuis tout à l'heure. Je vais finir par croire qu'un autre homme vous a séduite depuis deux semaines."

Les mots de la jeune femme restaient bloqués dans sa gorge. 

"Vous ne m'avez pas embrassé et votre manque de réponse me laisse à penser que mon hypothèse est la bonne."

Reggie venait d'arrêter la voiture devant un de ses nombreux clubs. Il sortit du véhicule et ouvrit la portière de Frances sans rien dire. Il ne la regardait plus. Elle se sentit blêmir. Une fine pluie commençait à s'abattre sur la capitale anglaise. La jeune femme sortit précipitamment de la voiture, perdant ainsi toute la contenance qu'elle avait, tant bien que mal, essayé de travailler tout l'après-midi. Elle s'agrippa au bras de Reggie et osa enfin le regarder dans les yeux. Toute sa détermination fondit, alors qu''il la fixait avec un sourcil relevé.  Il semblait attendre une réponse qui tardait à venir. Finalement, elle s'approcha doucement de lui et posa ses lèvres sur les siennes. Ils restèrent un long moment ainsi, alors que la pluie continuait de s'intensifier. 

"Vous ressemblez à un affreux couple de chiens mouillés."

Frances avait bien entendu la voix traînante de Ron à l'entrée du club, mais elle fit comme si de rien était. Elle sentit Reggie sourire légèrement contre ses lèvres. Il se recula et posa délicatement son bras sur ses hanches afin de l'entraîner à l'intérieur de l'établissement. Frances se demandait comment un homme si imposant pouvait être si gentil et charmant avec elle. Il pourrait briser son corps maigre d'une seule gifle. Sa carrure la protégeait presque de la pluie. Elle se sentait bien. 

Frances ne se renfrogna même pas quand Reggie l'abandonna seule à une table pour donner une bourrade plutôt brusque à son frère près du bar (certainement pour lui faire payer la raillerie de tout à l'heure). Un de ses hommes de mains vint le voir et lui chuchota des informations à l'oreille. Le visage de Reggie se ferma, il ressortit une cigarette, l'air préoccupé. Frances se sentit faiblir. Elle réalisa qu'elle n'avait pas totalement idée du buisness des frères Kray, ni de ce qui pouvait rendre Reggie soucieux. Elle se contentait de le regarder, inquiète. 

Alors que son frère lui parlait, l'air très sérieux, il posa les yeux sur la jeune femme. Il lui sourit tout en lui faisant un clin d'oeil élégant. Peu importe ce que lui disaient les autres, l'école, les institutions ou encore sa mère. Après tout le centre du monde pouvait être où on le voulait, même ici dans le sud de Londres.

Là où était Reggie.



A cup of tea // Fanfiction LEGENDOù les histoires vivent. Découvrez maintenant