127- Mes chers amis

118 10 6
                                    

Je vais vous raconter mon histoire, j'ai besoin de m'exprimer. Je la poste sur ce forum car seul ici je ne serai pas pris pour un fou. La plupart se diront que ce n'est là qu'une affabulation de ma part, afin d'effrayer les lecteurs. Les autres auront l'esprit suffisamment ouvert pour ne pas me juger. En fin de compte, je ne crois pas que cela revêt une quelconque importance. Mes chers amis, ne m'en tenez pas rigueur mais, vous ne serez que mon exutoire.

Je suis un homme d'un certain âge, un professeur de mathématique à la retraite, heureux jusqu'à récemment. Car cette histoire est celle de mon veuvage. Ma Sélène et moi nous nous sommes rencontrés il y a quarante ans, je vous dirais bien que le coup de foudre fut immédiat, seulement, ce ne fut pas le cas. Nous avons mis quelques semaines à nous rendre compte de notre attachement mutuel ; dès lors nous ne nous sommes plus quittés, affrontant la vie ensemble. À vous, jeune lecteur, je vous souhaite de vivre la même chose, connaître à la perfection votre moité, l'aimer pour ses qualités, et pouvoir aussi se moquer de ses défauts. Bref, les années ont passé, nos enfants, de même que nos petits enfants, ont grandi. Pourtant, il y avait toujours quelque chose que je ne comprenais pas chez ma femme. Une chose qu'elle s'est toujours refusée à m'expliquer.

En effet, depuis toujours, elle avait une peur panique des flammes. Oh, je ne vous parle pas que d'incendies ou de catastrophes, qui seraient une explication logique au phénomène, mais bien de tous les feux. Ne serait-ce qu'une simple bougie d'anniversaire était proscrite dans notre demeure. J'ai initialement supposé une phobie ; je l'ai longtemps pensé. Cependant, lorsque vous vivez suffisamment de temps avec quelqu'un, vous le comprenez au-delà de toute explication. Il y avait autre chose, je le sentais. Je ne puis vous apporter une explication rationnelle à ma certitude. Je le savais, c'est tout. De vous à moi, je suis d'une indécrottable curiosité, une véritable manie, la suite logique était donc une enquête.

Vu que ma dulcinée se montrait réfractaire à toute conversation sur le sujet, j'ai dû ruser. J'ai dû faire preuve de patience afin de saisir le moment opportun pour fouiller ses vieux objets et autres paperasses en tout genres entreposées depuis un bout de temps. C'est donc à l'occasion d'un week-end « Grand-mère, mère, fille » que j'ai commis mon larcin.

À peine j'entends la voiture s'éloigner que je grimpe jusqu'au grenier et que je commence mes fouilles. Cela m'a pris un temps infini mais, entre deux souvenirs mélancoliques, je tombe sur une malle en fer couverte de poussière et fermée à clef. Un frisson d'extase remonte ma colonne vertébrale ; pensez-vous, j'étais dans l'obligation de la crocheter comme dans ma punk de jeunesse ! Un trombone, un couteau, dix minutes et la serrure cède devant le vieux débris que je suis, flattant mon ego au passage. J'affiche un rictus de vrai gredin puis je plonge mon regard dans la caisse peu remplie.

Je fouille la boite métallique et remarque d'anciennes photographies de mon épouse, entre sept et huit ans, accompagnée de quatre de ses camarades. On aurait dit le club des cinq (seuls les plus vieux d'entre vous me comprendront), de charmants petits anges avec de magnifiques sourires, sous un soleil radieux, le marchand de glace en arrière-plan.

On dirait un panorama de ces pub qui passaient dans les années 60, en pleine guerre froide, où une famille parfaite ventait les mérites de tels produits. Surréaliste, c'est le mot qui me vient à l'esprit vis-à-vis de ce cliché. Les suivants sont du même genre, ma femme devait vivre dans le monde de Kellogs, je suppose. Sauf que la bouille du marchand de glaces est de plus en plus sur les photos : avec feu mes beaux-parents, avec Sélène dans ses bras ou un des amis de tout à l'heure sur les genoux... Une chose me dérange dans tout ça, après avoir regardé toutes les images dans l'ordre plusieurs fois de suite je constate que plus l'homme malingre est présent, moins les enfants sourient sincèrement. Je sais reconnaître quand mon amour se force à être joyeuse. Sur le coup, je fais rapidement le lien avec l'absence d'album de famille, son refus de se faire photographier et surtout qu'elle ne fasse jamais mention de sa petite enfance. Non... Ce ne peut pas être ce que je pense, seigneur faites que non, par pitié.

Recueil histoires d'horreur (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant