"demain sera demain"

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«Extrait du livre "En plein vol".
Pour sa douce et puissante vérité.»

  6h30.
  La tête toujours pleine des éclats de lumière.
  Le corps vibrant encore au rythme des pulsations sonores.
  Jules entraine le garçon vers la sortie.
  Ils ont dansé, bu, aussi beaucoup parlé. Ils se sont embrassés, caressés. Des moments de tendresse qui ont gommé tout ce qui les entourait. Cette nuit, l'univers se résumait à eux deux. Loins des autres, hors du temps.
  Ils ont échangé sur leurs visions du monde, ont disserté sans fin sur le souffle qui manque à la société, quand tout semble se résumer à des calculs, des chiffres et des pourcentages. Ils ont parlé couleurs, formes, messages, émotions, se sont découvert une passion commune pour le street art. Ils se sont vus tour à tour troubadours, poètes bricoleurs, enchanteurs des âmes, guérisseurs du temps. Ils ont partagé leurs enthousiasmes, rêvé dans la même direction. Ils ont repeint leurs pensées, redécoré le monde, bariolé leurs existences.
  Maintenant, le désir est le plus fort. Ils vont sortir, courir dans la rue puis rentrer chez l'un, ou chez l'autre, avant de faire l'amour jusqu'à ce que la fatigue les rattrape et les emporte.
  Demain sera demain. Et de ça ils se moquent.
  Alors ils remontent l'escalier de la boite en grimpant les marches quatre à quatre, s'embrassent. À cette heure, plus personne n'y entre. Ils ne croisent que des êtres fatigués, qui hésitent entre rejoindre un after ou bien allez se coucher.
  Jules les voit à peine. Fonce. Droit devant.
  Dehors, il ne sait pas s'il va trouver la nuit, ou les premières lueurs du jour naissant.
  Seule compte la chaleur de la main de ce garçon dans la sienne.
  Même s'il n'est qu'un éclair. Même si cet instant ne dur qu'une seconde. Même si tout ceci n'est qu'un moment fugace qui tombera bientôt dans l'oubli. Oui, il veut le vivre. À fond. Pleinement. Car il est bien. Simplement bien. Terriblement bien. Intensément bien.
  Le videur leur ouvre la porte, les salue. Et les voilà dehors. Sur le trottoir. L'air frais. La caresse du vent. Les lumières des réverbères qui ne vont pas tarder à s'incliner devant la puissance du jour qui se lève.
  Jules prend le garçon dans ses bras, l'embrasse à pleine bouche.
  — Pédales !
  L'insulte claque comme un coup de fouet. Ils se raidissent, reviennent dans la vie. Trop vite. Trop tôt. Trop fort.
  Ils sont trois, qui se marrent de leur plaisanterie. Les insultes fusent. Des commentaires faits pour blesser.
  Jules devrait l'écraser, fuit avant que la situation dégénère, mais un flux de colère l'envahit. Il fait un pas dans leur direction.
  — Vous avez un problème ?
  Les autres ne se démontent pas. Ils ont ce qu'ils cherchent. L'affrontement qui devient possible.
  — Vous n'êtes qu'une bande de dégénérés !
  — C'est déguelasse ce que vous faites, renchérit un autre.
  Jules avance encore. L'espace qui les sépare les attise.
  — On vous emmerde, lance-t-il alors que le garçon le retiens par le bras.
  — Viens, laisse tomber, supplie-t-il.
  Les trois gars n'attendaient que ça. Ils se gonflent de toute leur supposé virilité, vont frapper. C'est ça qu'ils veulent.
  Déjà, les torses se bombent, les poings se serrent. Menaces physiques qui ne se taisent plus.
  À ce moment-là, deux passants approchent, un couple, la soixantaine. Un homme. Et une femme. Décidés.
  — En quoi est-ce qu'ils vous empêchent de vivre ? Foutez-leur la paix ! Il y a de la place pour tout le monde sur cette terre. Même pour les esprits étriqués !
  C'est la femme qui a parlé. Le groupe la regarde, hésite. Quand d'autres, plus loin, éclatent de rire, les trois typed s'éloignent en grommelant des insultes et des commentaires désobligeant.
  — Merci, lance Jules à la femme avec un petit signe de la main.
  Ils échangent des sourires, puis le couple continue sa route.
  — On ne va pas laisser une bande de ramollis du bulbe nous dicter le monde dans lequel vivrons nos petits-enfants, commente-t-elle.
  Quand Jules se retourne, la rue est déserte. Le garçon n'est plus là.
  Il retourne dans la boîte. Il n'y est pas.
  Dans la rue voisine non plus.
  Le garçon a pris peur. Il a fui.
  Jules lui en veut de sa lâcheté. La comprend aussi.

[ Manon Fargetton
&
Jean-Christophe Tixier ]

[ Manon Fargetton & Jean-Christophe Tixier ]

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⏰ Dernière mise à jour : Sep 26, 2020 ⏰

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