Dance, Sex ... or Love ? [Publié chez Butterfly Éditions]

Satisfaite, ou remboursée

Gabriel

- Oh mon Dieu, oh mon Dieu, oh mon Dieu ! Oui ! OUI !

Son corps se tend, ses muscles se crispent et ses yeux se révulsent. Cette fois, on y est. Enfin, putain.

Je souris avec satisfaction en regardant sa respiration saccadée ralentir peu à peu. Il m'a fallu du temps et de l'imagination, heureusement que je ne manque ni de l'un ni de l'autre, mais je suis finalement parvenu à lui arracher un orgasme.

Essoufflé comme si j'avais couru un marathon, ce qui en un sens est le cas, je me retire et enlève la capote que je fourre dans son emballage.

Elle est vide.

Non, je n'ai pas joui, pas cette fois. Seuls les idiots et les magazines féminins croient encore que tous les hommes atteignent le nirvana quand ils baisent. Loin s'en faut. Cessez de croire cette fichue ode sexiste à la masculinité virile qui voudrait qu'un mec remplisse sa partenaire de foutre à chaque rapport. Je vais peut-être vous décevoir mais ce n'est pas le cas. Fatigue, lassitude, migraine, la simulation n'est pas l'apanage des femmes, qu'on se le dise.

J'attrape la petite bouteille d'eau sur ma table de nuit et la descends d'une traite. Bordel, ça fait du bien.

Je n'en peux plus. Je n'ai qu'une envie, la virer de chez moi et fermer les yeux une petite heure, seulement je m'abstiens. Une cliente satisfaite est une cliente qui me recommandera à ses copines, voisines, sœurs, collègues. Je ne peux donc pas me permettre de me montrer impoli, même si elle a déjà payé, alors je cherche dans ma petite liste d'excuses minables celle qui serait susceptible d'accélérer son départ. A cette heure-ci, près de dix-huit heures, je n'en vois qu'une.

- Lola, je ne voudrais pas te presser, mais j'ai mon cours de salsa dans une petite demi-heure.

Demain, en réalité, mais ça, elle n'a pas besoin de le savoir.

La fameuse Lola, charmante petite brune au teint mat, me regarde avec des yeux pétillants de malice et de ... de ... tendresse ?

Bordel, ça pue.

- C'était formidable, Gab !

Voix tremblotante et visage énamouré. Merde, de merde, de merde.

D'ordinaire, les clientes ne s'attachent pas à moi. Je suis là pour libérer leur sexualité, leur apprendre à jouir, et pour certaines, à donner du plaisir à un homme. C'est tout. Rien de plus, rien de moins, et je le précise toujours d'emblée. Toujours.

Relations amoureuses ou plan cul, c'est niet. On ne mélange pas le business et le plaisir, c'est une règle que tout le monde connaît, établie depuis la nuit des temps ou du moins, depuis que l'homme a inventé le principe de la transaction.

Seulement parfois, sous les effets post-orgasmiques, quelques rares irréductibles oublient cette clause du contrat et tentent leur chance. Leur refuser un deuxième round ou un ticket d'entrée dans ma vie privée s'avère alors extrêmement délicat.

Une patiente furieuse, c'est une réputation qui s'envole voire pire, un paiement annulé.

Parce que parmi mes nombreux principes, j'affiche celui-ci avec orgueil : "Satisfaite ou remboursée".

Pour le moment, personne ne s'est jamais plaint.

- Non Lola, c'est toi qui étais formidable, je débite d'un ton légèrement monotone. Je t'ai juste aidée à prendre conscience de cet incroyable potentiel que tu as au fond de toi. Que toutes les femmes ont.

Mon discours est si rodé que je peux le réciter les yeux fermés en pensant à autre chose. Ma liste de courses, par exemple. Non pas que je ne crois pas à ce que je raconte, il est évident que toutes les nanas ont en elles les pré-requis nécessaires à une vie sexuelle épanouie, c'est juste ... je sais pas... la force de l'habitude, sans doute.