Chapitre 2

484 61 18
                                    

Leeloo


Que le spectacle démarre en fanfare !

Mon amie déboule chez moi comme un boulet de canon, les yeux vissés à l'épouvantable pique-assiette qui a chapardé mes céréales. 

Elle est super flippante, Zara. Elle a beau être une petite Japonaise toute fluette incollable sur la pop culture, elle a un regard de tueuse en série et le visage le plus impassible de l'univers, « dont la froideur hivernale congèlerait en une seconde les bourses pleines d'un ours polaire en rut » d'après Stan. Mon frère n'a pas tort : une fois, je l'ai vue stopper la charge d'un chien agressif d'un seul regard perçant ! C'était surnaturel. L'animal s'est arrêté sur le trottoir face à elle, a baissé piteusement la tête et s'est enfui dans la direction opposée la queue entre les jambes. Souple et agile, le port élégant, elle ressemble à une samouraï des temps modernes. Ses tendances féministes et sa passion pour les jeux vidéos intimident les hommes : elle est gameuse professionnelle. Ses longs cheveux noirs et lisses qui lui arrivent à la taille et sa robe blanche à manches longues s'apparentent à ceux d'un fantôme asiatique, comme dans The Ring. Sa loyauté envers moi est telle qu'elle a traversé la rue en chemise de nuit au pas de course. Elle n'est pas essoufflée, mais ça ne m'étonne pas. Elle ne transpire pas, n'ahane pas, ne pleure pas, n'est jamais ivre ou épuisée. Cette fille n'est pas humaine. Gabriel la soupçonne d'être un androïde asiatique très perfectionné infiltré parmi nous pour espionner notre civilisation occidentale. Lorsqu'il lui a sorti cette diatribe au Hamlet, le pub qui est notre QG, elle s'est contentée d'un infime sourire, sans réfuter sa théorie.

— Leeloo. C'est qui, ce mec ? lance-t-elle dans un murmure glacial.

Le concerné repose sa cuillère sur la table en déglutissant. Il a perdu toute sa belle assurance en l'espace de quelques secondes face à ma petite geekette badass qui pèse cinquante kilos toute mouillée.

— Oh ! Zara, ma fleur de cerisier, je ne pensais pas que tu rentrerais aussi tôt ! je réplique d'un ton faussement contrit.

Je joue la comédie comme un pied. Ironique, pour un mannequin pieds et jambes.

Cependant, le parasite concentre son attention sur Zara. Il est sur le qui-vive comme une proie devant un prédateur d'une nature inconnue. L'instinct de survie...

Il a bien raison de se méfier de notre Sushi internationale : elle est la plus redoutable de la bande. Les garçons en sont tous les trois conscients. Pourtant, Elyas est champion de base jump en parallèle de son boulot de kiné, Stan est un vigile teigneux à la carrure de rugbyman qui se bagarre toutes les semaines et Gabriel passe ses journées à pratiquer des touchers rectaux.

— Espèce de garce, siffle-t-elle entre ses dents, sans détacher ses yeux bridés impavides de ceux de Blaise, qui n'est plus très à l'aise. Troisième fois que tu me fais le coup cette semaine.

— Cinquième, je rectifie avec un sourire coquin. Tu as omis le facteur et l'électricien.

— J'ai pris un gode ceinture juste pour te faire plaisir alors que je n'en vois pas l'utilité. Tu devrais avoir honte de déshonorer mes ancêtres. J'ai vendu la bague de fiançailles de mon arrière-grand-mère décédée à la naissance pour t'acheter ce cadeau.

« Décédée à la naissance ». Et l'autre, les yeux ronds comme des soucoupes, qui ne calcule même pas le non-sens de cette phrase ! Je me retiens d'éclater de rire. À la place, j'esquisse une moue d'excuse.

— Désolée, ma douce, je ne le ferai plus.

Elle m'écrase d'un regard meurtrier si crédible que même moi, j'en ai la chair de poule. Avec le rideau de satin sombre qui encadre son visage diaphane, elle a tout d'un spectre vengeur.

Crazy Wild West (publié chez Black ink éditions)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant