Viande humaine

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Douze ans.

On lui glisse une pièce de monnaie dans la main.

Dix francs. Une fortune.

Elle a juste à dire «oui». A la prendre.

Son père la prie de cesser de faire l'idiote. Puisqu'on lui donne, il faut l'accepter.

Sa mère essaie de la convaincre gentiment, de l'amadouer.

Mais elle ne comprend pas. Qu'est-ce qui est devenu la phrase sacro-sainte chère à son géniteur, cette phrase ressassée encore et encore, presque tous les jours?

«Tout travail mérite salaire. »

Sur lui aura assez répété.

Qu'a-t-elle-fait pour mériter pareille fortune?

Elle n'avait même jamais possédé une pièce de cette valeur.

Pourquoi?

On ne lui explique pas.

On lui met de force dans la main.

Regards gênés des trois adultes, des deux hommes et de la femme, qui ne comprennent pas pourquoi elle n'a pas tout simplement pris cette pièce avec joie et reconnaissance.

Mais elle se méfie des cadeaux des adultes.

Elle a compris depuis longtemps déjà qu'ils ne donnent rien pour rien.

A part les punitions.

Pour ça pas besoin de contreparties, ils en ont des stocks inépuisables à écouler.

L'homme est fier de lui. Il a agit comme il le fallait.

Les parents sont contents.

Comme les enfants sont bêtes et ingrats.

Déjà, on l'oublie.

Elle a cette pièce dans la main.

Elle s'est éclipsée très rapidement, murmurant un rapide merci de circonstance.

Elle est étonnée, perplexe, surprise, révoltée, écœurée, vaincue.

Puisqu'elle l'a prise, c'est qu'elle l'a acceptée. Qu'elle est d'accord.

Elle a fait ce qu'ils voulaient.

Mais elle le voulait aussi n'est ce pas ?

Puisqu'elle la prise.

Elle ne comprend pas les adultes.

Souhaiterait ne jamais en être une.

Mais c'est trop tard.

Cette pièce, c'est le prix du sang.

Elle vient d'avoir ses premières règles.

Elle est devenue une femme.

Et on l'a payée pour ça.

Tout et rienOù les histoires vivent. Découvrez maintenant