Chapitre 3 : Bregan

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L'Ouest était réputé pour ses montagnes escarpées et ses petits fiefs inexpugnables. Avec l'arrivée de l'hiver, la neige avait rendu impraticables nombre de chemins. Seules demeuraient accessibles les plus larges routes. Du moins, celles qui menaient aux fiefs ayant payé tribut à la reine. En échange, cette dernière faisait bénéficier le seigneur local de sa magie : le manteau blanc fondait sous ses enchantements désormais indispensables.

Sanhild avait poussé le rideau de velours épais qui obstruait la fenêtre du carrosse. Attrapant sa cape, Landarn maugréa en sentant le froid lui mordre le visage, mais son amie n'y prêta pas attention, trop occupée à respirer l'air pur et vivifiant. Cette atmosphère lui avait tellement manqué ! Les joues rougies par le vent glacial, Sanhild contempla les sommets immaculés qui les cernaient désormais. Le véhicule cahotait toujours, se frayant un passage laborieux entre les sapins gelés. La route était dégagée, juste ce qu'il fallait pour passer sans risque. Le seigneur Thoran ne manquait jamais de payer l'impôt. Il aurait fallu être fou pour se passer de l'aide de la souveraine ! 

La jeune femme réprima son envie de mettre pied à terre pour fouler le sol de la forêt dans laquelle ils venaient de s'enfoncer. Elle savait mieux que personne que, sous cette ambiance feutrée à l'odeur entêtante de sève sucrée, se tapissait un vaste piège. Chaque arbre pouvait receler des brigands ou, pire, des wrags. En songeant à ces loups de cauchemar, plus hauts qu'un homme et plus cruels qu'un démon, Sanhild frissonna. Il s'agissait bien là de la seule peur qu'elle n'était pas parvenue à dompter.

Par chance, le début de l'hiver signifiait que ces monstres n'étaient pas encore affamés et ne prendraient pas le risque de s'attaquer au carrosse. En revanche...

Un cri rauque la tira de ses pensées. Une volée de flèches mortelles. Sanhild rentra précipitamment la tête dans l'habitacle. Au dehors, les cris des soldats qui étaient censés protéger la noble dont elle avait pris la place, se mêlèrent à ceux des assaillants. Sans s'émouvoir, les Officieuses échangèrent un regard. Elles allaient peut-être devoir se battre.

Le carrosse fut arrêté brutalement dans un mugissement d'entlor paniqué.

- Brigands des bois... expliqua Sanhild d'un ton posé en sortant son poignard.

Ces groupes de va-nu-pieds était souvent désorganisés et mal armés. Ils tendaient à disparaitre en été mais, l'hiver, les patrouilles pour le compte des nobles se faisaient plus rares et cette vermine ressurgissait parfois. 

Landarn n'était pas plus affolée que son amie, et elle se baissa vivement pour sortir, du coffre sous son siège, un couteau effilé. L'idéal serait que leur escorte fasse le travail à leur place afin de garder leur couverture intacte. Mais on n'était jamais trop prudent...

Comme pour leur donner raison, un homme mit la main sur la porte pour l'ouvrir.

Sanhild le saisit avec force et l'attira vers elle. L'arme de l'Officieuse fila : gorge tranchée nette. La jeune femme fit basculer l'assaillant à ses pieds, tandis que Landarn accueillait de la même façon un deuxième agresseur. 

- Pas de témoin, murmurèrent les Officieuses, comprenant qu'elles n'avaient d'autre choix que d'intervenir si elles voulaient sauver leur vie. 

Elles sautèrent à bas du carrosse pour découvrir une scène macabre : les trois soldats qui les entouraient étaient effondrés, victimes des flèches. Le cocher tremblait sur son siège, terrifié et tenu en respect par un homme qui semblait avoir décidé de cumuler les clichés sur les hors-la-loi. Dépenaillé, couvert de cicatrices, sous une barbe hirsute, il roulait des yeux fous. 

Sans comprendre à qui il avait affaire, il se mit à rire en voyant les jeunes femmes :

- Bah, c'est qu'elles sont armées, les p'tites dames !

OfficieuseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant