Blanc et Noir

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     La musique. Tout le monde porte un regard différent face à elle. Certains ne peuvent pas s’en passer, d’autres la fuient. Certains n’aiment qu’un style en particulier, d’autres goûtent à tout. Mais quoi qu’il arrive on ne peut l’ignorer. Elle fait partie de nous. Depuis des siècles l’Homme manipule un nombre incalculable d’objets permettant de créer ne serait-ce que la moindre petite note, harmonieuse ou non. Elle nous divertit, nous motive, nous pousse à donner le meilleur, et parfois se lie avec nos souvenirs afin de les rendre immortels.

* * *

     Sombre. Puis tout s’éclaira. La vieille lampe du grenier fonctionnait donc toujours. Devant moi s’étendait une vaste chambre. Celle qui m’avait vu grandir, connaissait mes espoirs, mes peurs, mes secrets… Je n’y avais pourtant pas remis les pieds depuis des années. Je laissai un instant mon esprit vagabonder, et mes jambes me porter là où elles le voulaient. Je ne repris seulement conscience que lorsque mon genou heurta le coin de l’ancienne coiffeuse, me faisant lâcher une petite grimace de douleur. Je passai doucement ma main sur le bois poussiéreux, avant de rencontrer un objet que j’aurais reconnu entre mille. La boite à musique. La sienne. Je la saisis délicatement en m’asseyant sur le tabouret en velours élimé. Mon pouce se perdit en suivant les sillons finement gravés à la surface, jusqu’à arriver au petit fermoir, que j’ouvris par… habitude ?

     Aussitôt, les premières notes résonnèrent. Tin. Tin. Tintin. Tin. Tin. Tin… Tin. Chopin. Etude n°11 en la mineur, op. 25. Je reposai doucement la boite en fixant mon reflet dans le miroir piqué. La musique était douce. Simple question de temps. Elle était comme elle. Délicate, puis une véritable tornade, arrachant tout sur son passage.

Légère pause. Une mèche blanche passa devant mes yeux. Sans doute mon imagination.

Puis ce fut le déluge…

     Le piano s’emporta, tourbillonna. Des cheveux neiges apparurent, rejoints rapidement par des yeux noisette grand ouverts. Son sourire, immense, recouvrait la totalité de son visage. Elle tournait sur elle-même, accompagnée par son rire qui s’élevait haut dans le ciel nocturne, comme pour atteindre les étoiles. Et je riais moi aussi en l’observant. Cette fille avait le don de redonner à un cœur de pierre tel que le mien l’envie de s’amuser. Chopin nous regardait de là où il était. Deux jeunes femmes, heureuses, aimant ce même morceau qu’il avait créé il y a de cela des siècles.

     Les notes les plus hautes laissaient leur place à celles plus basses dans une cascade infernale, avant de remonter, telles les vagues du fleuve voisin. Elle tournait, virevoltait, attirant les regards soit amusés, soit courroucés des passants profitant eux aussi des quais en ce début de soirée. Mais qu’importe. Nous étions là, jeunes et vivantes, profitant de chaque moment de la vie, perdues dans notre bulle qui nous faisait flotter.

     Elle finit cependant par s’arrêter face à moi, à l’instant même où une note venait de stopper la course du piano. Elle me sourit, saisit ma main pour me relever. Elle m’entraina dans sa danse folle tandis que la musique reprenait son rythme, en ralentissant tout de même. Cela ne dura pas, la tête lui tournait, il était temps de marcher. Elle riait toujours. Difficile de l’imaginer sans ce fidèle compagnon. Elle parlait de tout et de rien, comme si chaque sujet abordé ne valait pas la peine d’être creusé. Comme si rien n’importait vraiment. Je lui répondais, de façon toute aussi légère. De temps en temps, un petit pas de danse s’échappait de son corps, lorsqu’une note ne suivait plus l’accalmie générale. Il lui était impossible de résister à l’appel du son.

Obsidienne - Ou le Petit recueilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant